Parce qu'il se trouve placé à proximité d'une source d'énergie magique qui renforce ses pouvoirs et parce qu'il a trouvé un homme suffisamment empli de haine pour servir ses desseins, un sorcier égyptien enfermé depuis trois mille ans dans une statuette d'Anubis peut à nouveau s'incarner pour assouvir une fabuleuse vengeance. Grâce au baiser de l'homme mort, il parvient à changer régulièrement d'enveloppe charnelle, prenant place dans des cadavres en lente putréfaction.
Ce thriller fantastique obéit aux lois du genre. Un rythme rapide, un suspense haletant, des scènes spectaculaires et terrifiantes – voire souvent gore – dignes d'un Clive Barker, une héroïne jolie et futée, une histoire d'amour, un duo de policiers bicolore sorti tout droit d'un film d'action hollywoodien... tout concourt à une lecture rapide et distrayante.
Mais ce roman va plus loin et franchit sans peine la frontière qui sépare le thriller honnête et de bonne facture d'un excellent thriller.
Sa construction est particulièrement réussie. Le lecteur connaît exactement la vérité dès le premier chapitre, tandis que les protagonistes n'ont, eux, aucune idée de ce à quoi ils sont réellement confrontés. Cette complicité offerte au lecteur, loin d'atténuer le suspense, met en relief les mécanismes habituels des enquêtes parallèles que mènent la police et Ellen Harper, la belle archéologue. Chaque chapitre nous présente l'histoire selon le point de vue de l'un des protagonistes, prisonnier de sa propre logique, toujours dans le sens d'une progression, c'est-à-dire sans jamais que la même scène soit jamais rejouée. Ce procédé, tout en relativisant les repères, entraîne une narration particulièrement dynamique.
Par ailleurs, le contexte de ce type d'intrigue contribue pour beaucoup à l'intérêt que l'on peut y porter. Weinberg insère son récit dans un cadre d'égyptologie, d'archéologie et de muséologie. Cet aspect, qui peut sembler initialement superficiel, s'avère au bout du compte passionnant lorsque l'auteur réinterprète certains passages de la Bible à la lumière de la sorcellerie, et notamment lorsque l'histoire prend une dimension théologique en expliquant pourquoi les religions polythéistes ont été supplantées par le principe d'un Dieu unique. L'aventure fantastique à la Indiana Jones se double ainsi d'audacieuses et stimulantes hypothèses, au bout desquelles il n'est plus possible de considérer Moïse du même œil...
En outre, ce contexte est encore enrichi par la peinture d'un groupe d'extrémistes néo-nazis. Contrairement à de nombreux ouvrages où les méchants ne sont que de grimaçants pantins, Weinberg nous les présente aussi de l'intérieur, décrit leurs parcours et leurs faiblesses, les montre comme des êtres qui, si désaxés soient-ils, n'en sont pas moins des hommes... ou des femmes puisque Sarah la voyante apporte à ce groupe une touche d'érotisme teinté de nécrophilie.
Ces différentes qualités expliquent qu'il est difficile de lâcher ce roman avant le dénouement. Mais contrairement à de nombreux thrillers dont on oublie la teneur sitôt la dernière page tournée, Le baiser de l'homme mort renferme quelques idées fortes qui impressionnent durablement et en font une lecture chaudement recommandable.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 25/3/2001 nooSFere