Six siècles après sa colonisation, par les Américains, puis par les Chinois, Mars est en train de mourir.
Gouvernée par une gérontocratie depuis trop longtemps maintenue en vie par une technologie sophistiquée, la planète rouge est devenue l'objet d'un vaste conflit entre plusieurs factions, locales ou venues de l'espace.
Le jeune Wei Lee, en rupture avec l'élite dont il est issu, parcourt l'étrange tapisserie multiculturelle qu'est devenue Mars dans l'espoir de percer le mystère de la disparition de ses parents. Un périple où il croisera des personnages aussi divers qu'une mercenaire en perdition, une troupe de cow-boys cosmopolites, une petite fille habitée par un dieu, une tribu yankee primitivo-scientiste, le clone auto-répliquant d'Elvis Presley et même le Christ en chauffeur du précédent... avant d'accéder lui-même à la divinité.
Au croisement du western et du roman chinois, l'histoire d'une révolution qui touche à la notion même d'humanité.
Paul J. McAuley, né en 1955 à Oxford, s'est d'abord orienté vers une carrière de chercheur en biologie. Ecrivain marquant de la jeune génération britannique, distingué par le prix Philip K. Dick 1989 pour son premier roman, Quatre cents milliards d'étoiles, et par le prix Arthur C. Clarke 1996 pour Féerie (J'ai lu), il s'est fait connaître en France par une uchronie particulièrement brillante : Les conjurés de Florence (Denoël).
Critiques
« Mars était en train de mourir. » Par ces mots, nous entamons un étonnant road movie dans le décor crépusculaire de la planète rouge, tombée aux mains des Chinois après avoir été colonisée par des pionniers américains. Nous allons suivre le jeune Wei Lee dans un long parcours à travers les paysages moribonds de Mars, jusqu’à la fameuse Cité Interdite dominée par l’inquiétante figure d’un Empereur quasi immortel.
Au roman chinois, Sable rouge emprunte le personnage du vagabond qui, après avoir perdu son statut et son honneur, traversera une série d’épreuves initiatiques. Certaines seront fortement oniriques et elles prendront souvent la forme de rencontres, d'une nature parfois quasi divine (dont celle avec le King des Cats, un clone déifié d’Elvis Presley…).
Dans Féerie, les nanotechnologies permettaient d’imaginer, au sein d’un monde devenu « technologiquement magique », l’apparition de créatures surhumaines. Surhumaines ? Un peu plus ou un peu moins qu’humaines ? Voire inhumaines ? En tout cas, différentes…
Dans Sable rouge, ce sont des virus « totipotents » qui transforment l’être humain pour le rendre plus fort et plus libre, mais à quel prix ?
Dans ces deux romans, « l’infection » se propage à la manière d’une maladie sexuellement transmissible, par un baiser chargé de millions de particules virales ou nanotechnologiques. Ce baiser, qui dans les contes suffit habituellement à réveiller la princesse, amorce ici de subtiles transformations qui affectent la totalité de l’organisme et du psychisme.
McAuley est un auteur difficile. Pour être appréciée, sa thématique ambitieuse demande une bonne connaissance de la science-fiction car son style est plus souvent allusif qu’explicatif. En mettant en scène des lieux sans âme et moribonds, des personnages froids et déshumanisés, il suggère une atmosphère avant de conter une histoire.
La place de l’être humain semble réduite, comme s’il devait disparaître au profit d’une race transformée, peut-être moins angoissée, mais aussi privée de sentiments. De fait, ces derniers n’ont plus guère d'avenir dans un univers où règne le faux-semblant, où les personnages deviennent des marionnettes soumises à d’infimes particules qui prennent possession de leurs corps, où des entités virtuelles peuvent détenir un pouvoir absolu…
Pourtant, l’auteur termine sur une note optimiste : « Nul dictateur, aussi universel et bienveillant soit-il, ne changera jamais la nature des êtres. » Etrange conclusion, alors que l’œuvre de McAuley semble tout entière centrée sur la modification profonde de la nature de l’humanité future.
Sable rouge est une sorte de « rêve étrange et pénétrant », un puissant voyage aux limites de l’humanité. Il s’adresse plutôt à des lecteurs avertis, mais la richesse en est si grande que l’effort est pleinement récompensé. Après Les Conjurés de Florence et Féerie, McAuley confirme qu’il est une voix forte et originale de la SF moderne.
Six siècles après sa terraformation, gouvernée par une gérontocratie chinoise qui chassa les premiers colons américains, Mars se meurt à nouveau. Le gouvernement des « Dix Mille Ans », dirigé par l'Empereur, qui n'est plus en réalité qu'une intelligence artificielle analogue à celles qui dominent la Terre débarrassée de ses vivants, trouve inutile de remettre le processus en route. De multiples factions s'opposent à cette décision, comme les représentants de la Libre Nation Yankee ou les cow-boys menant les troupeaux de yacks, qui se considèrent comme les vrais propriétaires de Mars, les pionniers du ciel et les anarchistes qui vivent dans des astéroïdes, le Mouvement de Libération Scientifique du Peuple et bien d'autres factions qui composent la mosaïque politique de la planète.
Dans ce contexte, Wei Lee, un jeune homme de haute lignée, parce qu'il veut connaître la vérité sur ses parents disparus, est rebelle à l'autorité de son sévère arrière-grand-père, lequel le charge d'enlever la jeune et redoutable anarchiste Myriam Makepeace Mbele qu'on vient de capturer. Mission qui modifiera radicalement son existence, faisant de lui tour à tour un paria, un prophète et un libérateur.
Mais l'intrigue n'est qu'un prétexte pour rendre compte d'une humanité confrontée aux profondes modifications de la biocybernétique : Intelligences Artificielles prônant le règne de l'inorganique, clones optimisés et loués comme mercenaires, esprits reconstitués tel cette réincarnation d'Elvis Presley, le King des Cats comme l'appellent les Chinois, qui, depuis Jupiter, balance chansons et conseils, individus hantés comme cette fillette habitée par un dieu, ou comme Wei Lee à qui la mercenaire a transmis sa salive pour lui inoculer des « virus » modifiant son matériel génétique. Elle s'exprime désormais à travers lui tandis qu'il devient un surhomme digne des comics de DC ou de Marvel.
On se perd parfois dans ce roman au rythme échevelé accumulant les rebondissements et les effets surprenants qu'autorise une science sans contrôle, truffé de références et de clins d'œil au point de donner le vertige. Mais c'est ce vertige que McAuley cherche justement à provoquer, pour mieux nous faire éprouver ce que les technologies de demain ont de vertigineux et combien la poudre nanotechnologique ressemble à celle de perlimpinpin de nos contes de fées.