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Dérobade

Jess KAAN


Illustration de Sébastien BERMÈS

OXYMORE , coll. Épreuves n° (5)
Dépôt légal : mai 2004
Première édition
Recueil de nouvelles, 288 pages, catégorie / prix : 13,80 €
ISBN : 2-913939-41-4
Genre : Fantastique



Quatrième de couverture
     S’il ne fallait qu’une erreur pour perdre jusqu’à sa nature d’homme, ou passer une nuit dans les bayous pour la retrouver ? Pousser au bout une enquête jusqu’à découvrir l’inconcevable, assumer ou renier, quel qu’en soit le prix, l’héritage de ses pairs ? Que nous devions lutter contre des anges, ou livrer des passants à d’obscures puissances ? Peut-on échapper à l’univers tel qu’il est, ou même, et surtout, à ce que nous sommes ? 11 portraits à la sanguine d'un monde en déliquescence, des usines désaffectées du Nord aux envers cauchemardesques de Londres ou de Venise ; la cité et la forêt sont en guerre et, d'étranges contes de fées en apocalyptiques futurs, déchirent nos consciences... Jess Kaan, prix Merlin 2003 pour les désopilantes aventures d'un triton, rassemble dans ce recueil ses textes les plus sombres et dévoile des pans encore inconnus d'une mythologie en construction.
Sommaire
Afficher les différentes éditions des textes
1 - Philippe WARD, Les Routes de l'Imaginaire, pages 5 à 10, préface
2 - Quand Lune saigne, pages 11 à 35, nouvelle
3 - London Calling, pages 37 à 78, nouvelle
4 - Dionée, pages 79 à 90, nouvelle
5 - Iliana Letchawa 2037-2070, pages 91 à 111, nouvelle
6 - Sukkal, pages 113 à 131, nouvelle
7 - Katzenstreu, pages 133 à 141, nouvelle
8 - An urban and modern Faery Tale - enfin presque, pages 143 à 201, nouvelle
9 - Dérobade, pages 203 à 214, nouvelle
10 - Bloody Venise, pages 215 à 239, nouvelle
11 - Rustbelt, pages 241 à 257, nouvelle
12 - Le Bayou, pages 259 à 277, nouvelle
13 - Remerciements, pages 279 à 280, notes
14 - ANONYME, Jess Kaan, pages 281 à 282, biographie
15 - ANONYME, Bibliographie, pages 283 à 284, bibliographie
Critiques
     Auteur d'une trentaine de nouvelles dans diverses revues et anthologies, Jess Kaan publie à trente ans son premier recueil, des inédits à l'exception de deux textes. Ce qui frappe au premier abord est l'extrême variété des textes, qui empruntent essentiellement les chemins du fantastique, de la fantasy, et occasionnellement de la science-fiction. Dans sa préface, Philippe Ward le présente comme un touche-à-tout d'inspiration morbide mais capable de nous toucher par ses élans lyriques et ses prises de positions sociales ou écologiques.

     Dans le registre du fantastique classique, on trouve l'excellent Dionée, une maison maléfique incitant ses voisins à servir de rabatteurs pour les victimes qu'elle dévore ; Katzentstreu, où un chat abandonné continue d'imposer à son maître les servitudes qui lui incombent ; Dérobade, une révolte végétale contre l'humain. La nature et les vestiges du passé sont d'essence fantastique chez Kaan, susceptibles de châtier l'homme moderne qui ne respecte plus rien. Fantastique ne rime pas forcément avec horreur : Le Bayou, récit très poétique, se révèle être un havre de paix pour ceux que la vie n'a pas gâtés. Kaan met aussi en scène les villes ; Venise et Londres dévoilent leur face cachée dans Bloody Venise et London Calling, ce dernier texte, plus moderne, se voulant également être un hommage aux Clash. Du côté de la fantasy, le combat des personnages de Grimm contre ceux de Perrault est l'occasion d'un délire où Blanche-Neige, le Petit Chaperon et tous les autres utilisent Uzi et Kalachnikov pour régler leurs comptes sous le regard irrité de God qui tente de mettre fin à cette vendetta. Réjouissant mais longuet.

     Au chapitre de la science-fiction, l'humanité déclinante s'acharne à combattre des anges venus de l'espace imposer leur dieu (Sukal). L'héroïque combat politique contre une société inique est plus convenu (Iliana Letchawa 2037-2070) mais est l'expression d'une véritable révolte devant les injustices sociales comme en témoigne Rutsbelt, qui traite du drame du chômage dans le Nord. À l'évidence, Jess Kaan ne s'est pas encore débarrassé de ses multiples influences, qui vont de Poe à King en passant par Lovecraft. Quelques maladresses alourdissent encore sa plume, mais il est clair dès à présent que celle-ci va s'affermissant et que les thèmes qu'il aborde sous des éclairages variés sont susceptibles de déboucher demain sur des œuvres dignes d'intérêt.

Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 1/9/2004 dans Galaxies 34
Mise en ligne le : 2/1/2009


     On a pu, ces dernières années, observer avec intérêt le parcours d'un jeune auteur de fantastique. Jess Kaan, visiblement inspiré par les Grands Anciens que sont Lovecraft, Jean Ray ou... Philippe Ward, a publié ses premiers textes dans divers fanzines français, belges ou québécois vers la fin des années 90. Ce sont ensuite divers anthologistes qui lui ont permis de toucher un autre public, mais aussi de progresser, petit à petit, au fil des années. Et de se découvrir d'autres talents que celui de faire peur ; à présent, la fantasy, la science-fiction, l'humour ou, sur un ton nettement plus grave, un rôle de « révélateur », de témoin de son temps, sont autant de facettes de son talent que le temps a polies.

     Dérobade, le premier livre « en solo » de Jess Kaan, offre au lecteur un assez large panorama de la diversité dont il est capable. Onze textes dont neuf totalement inédits et un autre — Bloody Venise — en version longue alors qu'il avait été présenté dans une variante raccourcie dans l'Emblèmes Venise Noire, aux éditions de l'Oxymore. Cette mouture offre plus de cohérence et permet au lecteur de suivre plus aisément les méandres de l'histoire qui s'entremêlent à ceux de la ville maudite et de son dieu oublié. Ce texte est également celui qui associe de la façon la plus évidente les inspirations classiques de Jess Kaan et l'extravagance avant-gardiste de son écriture. Le résultat en est une histoire où l'absurde cache une réalité horrible. On voit déjà le témoin de son temps, des textes ultérieurs, pointer le bout de son nez.

     L'autre nouvelle déjà publiée est Quand Lune Saigne. Qu'y a-t-il de plus terrible pour un parent que de voir disparaître son enfant ? Comment survivre à cela sans basculer dans la folie ?
     Émouvante à en pleurer, au point que certains lecteurs la supportent difficilement, Quand Lune Saigne, en ouvrant le recueil, semble le placer d'emblée dans un registre de violence et de souffrance. Or, il n'en est rien. Si plusieurs des histoires racontées par Jess Kaan comportent des scènes de batailles plus ou moins « gore », elles sont parfois traitées avec humour et légèreté voire de façon burlesque.
     Ainsi, London Calling, dont le titre évoque une chanson des Clash. Bien sûr, Jenny enquête sur le meurtre d'un homme tué de quarante-sept coups de couteau, mais on rencontrera des gentlemen en melon, des punks destroyed et tout ce que Londres compte de mythique, tant il est vrai que London Calling est une ode aux multiples aspects de cette ville. On pense à Fabrice Colin ou à Xavier Mauméjean, à cause du thème et des allusions à divers héros ou figures typiques, mais l'écriture est absolument originale. En particulier, on notera le traitement de l'histoire, marqué de ce second degré si british qu'on retrouve fréquemment dans l'œuvre de Jess Kaan.

     Un autre texte très drôle est An Urban and Modern Faerie Tale — Enfin Presque dont l'humour grandguignolesque console de l'absence dans le recueil du privé-triton Eidonius. Certes, on peut parler d'agressivité et de frénésie : dès le début résonne le fracas des coups de feu et des haches de guerre tandis que M. Pierre et M. God, de Paradise Inc. se demandent quoi faire pour obtenir un cessez-le-feu entre les descendantes de Grimm et de Perrault. Et ça dure, pour notre plus grand plaisir. La férocité de la novella ne le cède qu'aux fous-rires arrachés au pauvre lecteur torturé par Dérobade, ce qui, quand on apprend la puissance d'un Livre de Contes de Fées, est fort inquiétant !

     Retour au second degré pour Katzenstreu qui raconte l'amour du narrateur pour une chatte qu'il a adoptée, et les choix douloureux qu'il est amené à faire à cause d'elle.

     Mais Jess Kaan sait aussi se faire grave et triste. En particulier quand il relate les évènements qui endeuillent son Nord natal, leur ajoutant une touche de surnaturel, car il n'oublie pas qu'il est auteur de Fantastique ! Dionée, dont la narration enfantine confère à l'histoire un zeste de spontanéité, de véracité pourrait-on dire, revisite le mythe des maisons maudites de façon très originale, le reliant aux graves problèmes des clandestins qui pourraient disparaître sans que personne s'en rende compte. Rustbelt raconte la descente aux Enfers d'un homme frappé par le chômage dans une petite ville du Nord. C'est pourtant bien la SOELLO, succursale de la Cordelles, qui est venu le chercher, il y a dix ans, et l'a poussé à interrompre ses études parce qu'elle avait besoin de lui ! Ce n'est pas parce que Eugène Cordelles est mort, maintenant, qu'on ne peut pas prendre sa revanche. Mais qui va réellement se venger de l'autre ?

     La compassion de Jess Kaan n'est pas réservée aux habitants de sa région, ni même à ceux de son temps. Le cycle des Sukkalin prend place dans un futur proche. Inauguré par Nitro, nouvelle parue dans l'anthologie de Patrick Eris, Rock Stars, aux éditions Nestiveqnen, ce cycle vient s'enrichir ici de deux nouvelles. Iliana Letchawa 2037 — 2070 m'a profondément touchée. Deux agents du Bureau Européen de Sécurité viennent enquêter dans un village privé occupé par des gens de valeur sur la vie d'une jeune femme à présent décédée. Pour cela, ils interrogeront sa grand-mère afin de comprendre ce qui a poussé cette réfugiée russe au militantisme le plus extrême, et ce qui a conduit des centaines de gens à la suivre.
     Ce n'est qu'avec Sukkal que le lecteur prendra pleinement conscience de toute la portée d'Iliana Letchawa. Au point de peut-être souhaiter relire le premier texte — et pourquoi pas, de relire Nitro — pour mieux se pénétrer de toute la profondeur du message. Car Jess Kaan est bien un auteur-témoin, porteur d'un message, ou d'un miroir qu'il nous tend pour que nous prenions conscience de nos actes, nous les Humains. Sukkal débute dans une ambiance post-apocalyptique : les Sukkalin, qui servent les Aspirants Dieux, traquent sans merci les humains réfugiés dans les décombres des villes. Ce texte qui débute dans une désespérance infinie surprend d'une façon que je ne puis décrire sous peine de déflorer le sujet. Je puis juste dire qu'alors que je croyais ne pas l'apprécier, il est devenu l'un de mes favoris, tant les sentiments sincères et intenses, décrits avec pudeur, emportent le lecteur dans un maelström d'émotions dont il ressort bouleversé.

     Jess Kaan, l'amoureux des grises villes du Nord, est aussi un chantre de la Nature. Ainsi Dérobade, la nouvelle qui donne son nom au recueil, est une histoire tout entière construite de bois vivant, d'arbres aux essences multiples. Vivre dans un chalet au milieu de la forêt, quel rêve, n'est-ce pas ? Un rêve qui peut parfois prendre des allures de cauchemar...
     À l'inverse, Le Bayou, qui clôt le recueil, est un cauchemar qui par un mystère étrange prendra des allures de rêve. Les marais peuplés de hérons et d'alligators recèlent bien des merveilles et le narrateur, un entreprenant jeune avocat, n'en sortira pas indemne. Le Bayou est un très beau texte, d'une « beauté d'amour de la nature » ; il fait un étrange contrepoint à Dérobade et la réunion des deux nouvelles dans le même recueil est un choix très heureux.

     Je ne saurais conclure sans dire un mot de la splendide couverture créée par Sébastien Bermès, dont le talent de peintre s'affirme avec le temps. Il a admirablement capté l'essence de l'écriture kaanienne. Dérobade est l'un des recueils de nouvelles fantastiques les plus forts de ces dernières années et je vous répéterai le conseil de Philippe Ward, à qui échut le rôle difficile de préfacer le livre : « Savourez bien ce cocktail savamment dosé de Science-Fiction, de Fantastique et d'aventure. »

Note :

Critique également en ligne sur Zone 651

Lucie CHENU
Première parution : 1/7/2004 nooSFere

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