Les années 1930, à Prague. Tandis que l'influence du nazisme croît insidieusement, Nathan, jeune étudiant juif à la mémoire prodigieuse, se voit malgré lui désigné par son rabbin comme le futur dépositaire d'un secret ancestral. En parallèle, il fait la connaissance de la séduisante Camille, une française venue à Prague pour travailler à une thèse portant sur Kafka et Meyrink, puis du sympathique Hermann, un allemand féru d'ésotérie, qui étudie les religions pour en cerner l'origine supposée commune. Or ce dernier s'appelle en réalité Otto Rahn, à la fois écrivain occultiste et espion au service du nazi Karl-Maria Weisthor, alias Wiligut, lui-même aux ordres de Himmler. A travers leur étude du catharisme, des runes vikings et de la Kabbale, ces trois hommes espèrent créer une nouvelle religion aryenne et éveiller un Golem aryen...
De nos jours, en France. Psychiatre, Jacques est hanté par des cauchemars depuis son enfance, depuis ce jour où il a ouvert un livre de photographies sur les camps de concentration nazis. Ces rêves atroces où de jeunes enfants sont torturés sous ses yeux vont lui révéler un lien inattendu avec le Nathan de 1930 et le mettre sur la piste des expériences maudites de Wiligut...
Habile mélange de fiction et d'Histoire — Rahn et Wiligut ont réellement existé, tout comme, hélas, le camp de Buchenwald où se déroulera une partie du récit — Golems est un captivant roman fantastique, dont la construction est remarquable, d'une part par l'alternance des époques, d'autre part par les extraits de nombreux documents pour la plupart fictifs — correspondances, extraits de dictionnaires, retranscriptions d'interrogatoires — , enfin par la progression de la tension dramatique. L'intrigue débute en effet calmement, par un hommage érudit à Prague, à ses écrivains et à sa « magie », pour plonger progressivement vers l'horreur nazie, avant de se terminer sur de spectaculaires séquences se déroulant de nos jours.
Les rapports entre le nazisme et l'occultisme n'ont plus rien de très original — ce n'est pas Indiana Jones qui dira le contraire. Pourtant, Golems prouve encore une fois que ces relations troubles, à l'importance sans doute largement surestimée, demeurent à l'origine de récits aussi efficaces qu'intéressants. Sans doute parce qu'à aucun autre moment dans l'Histoire, une armée ne s'est davantage rapprochée des ténébreuses « forces du mal » chères à Sauron et à la Fantasy. Apporter au nazisme des racines démoniaques, en faire l'expression de manifestations occultes, voilà qui permet peut-être de rechercher dans l'horreur un début de sens, de mieux appréhender ce qui autrement apparaît absolument incompréhensible.
Ainsi basé sur une horreur bien réelle qui dépasse largement le contenu purement fantastique de l'intrigue, Golems fait froid dans le dos, sans que l'épouvante soit gratuite ou superficielle. En moins de 250 pages, Alain Delbe fournit une oeuvre dense et revisite avec talent le thème du Golem.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 1/9/2005 nooSFere