Angela CARTER Titre original : The Bloody Chamber, 1979 Première parution : Londres, Royaum-Uni : Gollancz, 1979ISFDB Traduction de Jacqueline HUET
SEUIL
(Paris, France), coll. Cadre vert Dépôt légal : février 1985 Première édition Recueil de nouvelles, 192 pages, catégorie / prix : 79 FF ISBN : 2-02-008661-1 ❌ Genre : Fantasy
Reprenant une série de dix contes célèbres pour enfant, la romancière britannique entreprend ici de récupérer pour une lecture féminine les classiques écrits par la traduction masculine, de les renverser — et hop, dans le tas de foin ! — et de les subvertir.
L'audace érotique du Cabinet sanglant (Barbe-bleue) ; le flirt avec la violence animale de M. Lion fait sa cour, où quand les lèvres de la Belle frôle les griffes de la Bête pareilles à des crocs à viande, la Bête fait patte de velours ; Le Chat botté, un peu escroc, un peu gigolo, un peu entremetteur dans un savoureux pastiche de la Commedia dell'Arte : tout cela est splendide et de sensations et d'esprit.
Et puisqu'on attend, fatalement, le moment où la fillette va voir le loup, on n'est pas déçu. C'est plein de loups. Mais ici, le Petit Chaperon rouge s'endort dans le lit de grand-mère entre les pattes du tendre loup. Cette nouvelle qui donne son titre au recueil à également inspiré à Angela Carter le scénario du superbe film fantastique de Neil Jordan.
Critiques
Oui, le beau film de Neil Jordan est d'abord un texte, dix pages incluses dans un recueil où la romancière britannique revisite à sa manière les contes de notre enfance — et pas seulement eux, pas seulement monsieur Perrault. Revisitation qui ne se fait pas à la manière de Bettelheim, l'auteur n'ayant semble-t-il pas de point de vue social ou psychanalytique précis à mettre en exergue (ou les ayant dépassés : bien sûr le sexe est omniprésent comme motivation, mais il est plus un contre-point ironique qu'une lourde démonstration ; et si l'ensemble des contes est féministe — voir en particulier Le cabinet sanglant, revisitation de Barbe-Bleue, où ce ne sont pas les frères qui arrivent au galop, mais la propre mère de l'héroïne — on ne sent aucun didactisme sous la plume de Carter), mais simplement avec le désir de raconter autrement des histoires archétypiques pour faire peur et faire rire.
Car il y a beaucoup d'humour, beaucoup de désinvolture aussi dans ces coupes à travers les contes de notre enfance (parfois saisis entre deux portes — voir L'enfant de la neige, qui effleure Blanche-neige en deux pages), que la romancière semble se raconter à elle-même, comme si elle ne se souvenait plus exactement de leur déroulement (de leur morale bourgeoise surtout), et comme si, étant adulte (mais avec l'enfant de toujours resté caché en elle), elle voulait retrouver les émerveillements de jadis — l'amour qui se prononcepresque comme la mort, la perte de la virginité où le sang coule comme d'une blessure, le premier baiser qui évoque le coup de dent d'un vampire, la brutalité d'un époux qui vous fait croire qu'il est une bête dont on est la belle — qui est un loup-garou, ou un loup tout court, qui va vous manger toute vivante, toute pantelante.
Le vampirisme est à l'affût à la courbe de toutes ces histoires sucrées, acides, gourmandes en tout cas : et La dame de la maison d'amour, qui clôt le recueil, est bel et bien une revisitation du Dracula de Bram Stoker (lui-même sans doute conte enfantin détourné). Comme quoi tout se rejoint dans l'art de conter. Un art qu'Angela Carter possède au plus au point. Un livre à déguster par toutes ses papilles...