Site clair (Changer
 
    Fiche livre     Connexion adhérent
Rifteurs

Peter WATTS

Titre original : Maelstrom, 2001
Première parution : New York, USA : Tor, octobre 2001   ISFDB
Cycle : Rifteurs  vol. 2 

Traduction de Gilles GOULLET
Illustration de Colin ANDERSON

FLEUVE NOIR / FLEUVE Éditions (Paris, France), coll. Rendez-vous ailleurs précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 13 octobre 2011
Dépôt légal : octobre 2011, Achevé d'imprimer : septembre 2011
Première édition
Roman, 372 pages, catégorie / prix : 24 €
ISBN : 978-2-265-09337-9
Format : 15,5 x 24,0 cm
Genre : Science-Fiction


Ressources externes sur cette œuvre : quarante-deux.org
Ressources externes sur cette édition de l'œuvre : quarante-deux.org

Quatrième de couverture

Après Starfish,
un nouveau thriller post-apocalyptique...

Lenie Clarke a survécu à l'explosion nucléaire qui a détruit la station des abysses dans laquelle elle travaillait. De retour sur la côte américaine, elle découvre les ravages de l'immense tsunami qui a laissé sans domicile des millions de gens. Parqués derrière un immense mur par les autorités militaires, ils sont maintenus sous contrôle grâce à des tranquillisants administrés à leur insu. Dans le chaos ambiant, personne ne remarque Lenie, personne ne sait quel danger elle représente : porteuse de la bactérie ßehemoth, elle est susceptible d'anéantir la vie sur terre.
Mais bientôt, la jeune femme est repérée par Maelström, cette entité pensante et indépendante qu'on appelait autrefois Internet...
 
Peter Watts est né à Toronto au Canada où il vit toujours aujourd'hui. Biologiste marin de formation, il est aussi documentariste et écrivain. Il est l'auteur d'une dizaine de nouvelles et de cinq romans dont Vision aveugle, nominé à tous les grands prix de SF. Un style, des obsessions sur l'humain d'aujourd'hui et une intelligence aiguë caractérisent les écrits de Peter Watts.
 
Critiques
     Après seulement deux romans parus en France, Peter Watts a d'ores et déjà trouvé sa place parmi les auteurs de SF les plus novateurs et les plus passionnants du moment. Son nouveau livre, Rifteurs, était attendu avec d'autant plus d'impatience qu'il fait directement suite à Starfish, paru l'an dernier. Précisons tout de même qu'il n'est pas obligatoire d'avoir lu le premier pour saisir tous les enjeux du second, l'essentiel des informations nécessaires étant repris dans les premiers chapitres. Par ailleurs, dans la forme, Rifteurs est très différent de Starfish. Au huis-clos dans lequel se déroulait ce dernier succède une course-poursuite qui va nous faire traverser le continent nord-américain d'ouest en est. Cible de cette chasse : Lenie Clarke, l'une des survivantes de la station sous-marine où elle était en poste, désormais porteuse d'une bactérie issue des profondeurs qui menace de se répandre sur toute la surface de la planète.

     Il flotte sur Rifteurs un lourd parfum d'apocalypse. A cause de la menace que fait peser la nouvelle condition de Lenie sur l'ensemble de l'humanité, bien sûr, à cause aussi des ravages dévastateurs provoqués sur la côte ouest des Etats-Unis par l'explosion nucléaire qui concluait le volume précédent. Mais, plus généralement, le monde que l'on découvre ici est un monde au bord du précipice et à bout de souffle, où de nouvelles menaces apparaissent chaque jour, amenant souvent les autorités à prendre des mesures radicales pour les contenir. C'est également une société de plus en plus déshumanisée, où d'un côté les employés de diverses multinationales acceptent de renoncer à une part de leur humanité pour mener à bien les tâches qui leur ont été confiées, et où de l'autre des millions de réfugiés sont parqués comme des bêtes dans des zones de non droit et abrutis à grands renforts de tranquillisants. Ce chaos global se reflète jusque dans l'Internet, désormais rebaptisé Maelstrom, incroyable bouillon de culture en perpétuelle évolution qui va jouer un rôle crucial dans la destinée de Lenie Clarke.

     Même s'il évite la plupart des clichés du genre, et s'appuie sur une vraisemblance scientifique de tous les instants, Rifteurs fonctionne avant tout comme un thriller. Là où Starfish souffrait de quelques longueurs et de petits passages à vide, Peter Watts peinant parfois à structurer son récit (rappelons tout de même à sa décharge qu'il s'agissait d'un premier roman), cette suite marche à l'adrénaline, et s'avère être un page-turner assez irrésistible. Certes, au bout du compte, la plupart des questions soulevées au cours du récit demeurent sans réponse, et le resteront jusqu'à la parution de Behemoth, ultime volet de cette série. Mais si d'un point de vue global la situation n'évolue que très peu, en revanche les quelques protagonistes sur lesquels se focalise l'attention de l'auteur verront leur destin bouleversé de manière assez radicale. De Lenie Clarke, littéralement obsédée par son passé (l'obsession est souvent un élément moteur chez les personnages de Watts) à Achille Desjardins, dont le métier l'amène en permanence à faire des choix aussi dramatiques que meurtriers, aucun ne sortira indemne de cette histoire. La réussite de Rifteurs doit beaucoup à cette petite galerie d'individus, à la manière dont le romancier nous fait partager leur intimité pour mieux nous faire ressentir l'horreur dans laquelle ils se débattent en permanence. On n'aimerait pas être à leur place, mais on ne regrette à aucun moment d'avoir fait le voyage en leur compagnie.

Philippe BOULIER
Première parution : 1/1/2012 dans Bifrost 65
Mise en ligne le : 8/3/2013

Critiques des autres éditions ou de la série
Edition POCKET, Science-Fiction / Fantasy (2019)

  [Chronique de la trilogie "Rifteurs"] 

    Si Vision aveugle est le premier roman de Peter Watts paru en France, il n’est en revanche pas le premier publié dans le petit monde de l’édition anglo-saxonne, cet honneur revenant à Starfish, tome introductif de sa trilogie « Rifteurs », basé sur une nouvelle de 1990, « Une niche » (reprise en intégralité — avec quelques modifications — dans le livre, et initialement publiée dans chez nous dans les pages de… Bifrost n°54, ). Délaissant, comme d’autres auteurs avant ou après lui, les profondeurs de l’espace interstellaire pour celles de l’océan, le Canadien semble s’intéresser, durant la majeure partie du roman, à d’autres sombres abysses : ceux de l’âme humaine. Son roman, tendance biopunk (du cyberpunk très orienté biologie et biotechnologies, en somme) et hard SF, met en effet en scène une équipe placée dans une station de production d’énergie géothermique située sur une dorsale océanique, par trois kilomètres de fond : une installation indispensable, à la fin de la décennie 2040, au maintien de l’approvisionnement en électricité d’une Amérique du Nord livrée au contrôle des Corporations. Le lecteur découvrira rapidement que cette équipe (les rifteurs du titre de la trilogie), formée de gens adaptés, grâce à la cybernétique et aux manipulations génétiques, aux grandes profondeurs, a été choisie en fonction de deux types de profils psychologiques très particuliers, et censés leur permettre de fonctionner dans un environnement horriblement oppressant. On notera que l’atmosphère de ce roman est très particulière, exerçant sur le lecteur une pression psychologique et installant une ambiance d’une rare noirceur. Et longtemps, ce dernier croira que la psychologie desdits personnages (par ailleurs très travaillés et réussis, une rareté en hard SF) constitue le cœur du roman… ce qui, pour tout dire, n’est pas le cas.

    Il est en effet capital de comprendre que la trilogie dans son ensemble est construite comme un jeu d’oppositions, voire de miroirs — ou bien de changements de paradigme —, entre les fondamentaux des tomes successifs,  sans oublier quelques écrans de fumée, chaque roman donnant l’impression qu’il est centré sur un point précis alors qu’en définitive, le propos réel est ailleurs — et se dévoilera en général dans le dernier tiers. Ainsi, dans Starfish, le lecteur finira par comprendre que l’important n’est pas les rifteurs et leurs névroses, mais bien l’environnement dans lequel ils se trouvent. On remarquera aussi avec intérêt qu’ils vont recevoir la visite d’un psychologue, Scanlon, et que la narration, qui adopte jus-que là le point de vue des rifteurs, va soudain et transitoirement basculer selon celui, rationnel, de qui a été envoyé les évaluer. Si le propos de Watts est clairement transhumaniste (et s’intéresse donc à ce qui est plus qu’humain), il montre aussi que certains rifteurs peuvent régresser vers un stade moins qu’humain sous la pression conjuguée de l’abysse et de leurs traumatismes passés (un phénomène au centre de la nouvelle « Maison », dans le recueil Au-delà du gouffre - le Bélial’, 2016). Enfin, l’auteur oppose complexité et simplicité, et met la prochaine étape de l’évolution (transhumaniste) de l’homme face à une forme de vie qui, au contraire, est sortie du fond des âges. Il développe d’ail-leurs une théorie absolument fascinante sur l’origine de la vie terrestre, ou plutôt sur la nature extraterrestre de ce que nous considérons comme tel : tirant les conséquences logiques de son postulat, il montre alors ce qui se passe quand la seule forme de vie réellement originaire de la Planète bleue cherche à reprendre ce qui lui revient de droit.

    Au début de Rifteurs, le personnage principal du livre précédent, Lenie Clarke, revient sur la terre ferme où elle va — involontairement — créer une terrible catastrophe. Ce sera l’occasion pour Watts d’introduire un nouveau personnage fascinant, Achille Desjardins, un Transgresseur, c’est-à-dire un spécialiste de la gestion des crises (pandémies, attentats, attaques informati-ques, etc.) génétiquement mo-difié pour avoir de meilleures capacités cognitives et pour toujours servir l’intérêt géné-ral grâce à un garde-chiourme biochimique appelé Trip Culpabilité. Au passage, l’au-teur abordera le sujet des réfugiés climatiques, de leur traitement par les autorités (qui n’hésitent pas à les droguer pour s’assurer de leur docilité et les parquent sur une mince bande côtière) et de l’éthique (ou de son absence) qui le sous-tend, sans oublier les magouilles de l’industrie pharmaceutique — tout en montrant la diffusion dans le monde réel de mèmes créés puis propagés par la vie électronique du cyberespace. La thèse de Watts, selon laquelle la religion n’est qu’un phénomène biochimique pouvant être induit artificiellement (selon les textes, par des drogues ou des champs magnétiques), trouve ici un développement transverse et original quand un « culte » se développe autour de Lenie Clarke : la voilà surnommée par certains la Madone du Désa-stre. Cette fois, c’est l’activité, par ailleurs tout à fait rationnelle, des automates cellulaires de l’Internet, qui induit, presque par accident, la création d’une religion chez les humains !

    Si Starfish était un oppressant huis-clos sous-marin, Rifteurs change complètement l’ambiance, faisant traverser à Clarke le continent nord-américain d’Ouest en Est. Là encore, les tentatives des autorités de juguler le fléau propagé par Lenie, puis de capturer cette dernière, ne sont pas le véritable sujet du roman : dans un profond changement de paradigme, Watts remet la psychologie des rifteurs au centre de l’intrigue, modifiant son élément le plus fondamental (on signalera d’ailleurs que cette révélation peut être perçue en lisant très attentivement le tome 1). De plus, les échanges, sur l’Internet de ces années 2040, appelé Maelström, au sujet de Clarke et de la menace qu’elle représente, catalysent une nouvelle forme de vie électronique, une fascinante Stupidité Artificielle, l’un des points forts de la trilogie dans son ensemble.

    Le début du troisième tome, βéhémoth, qui se déroule cinq ans plus tard, replace les rifteurs et leurs maîtres corporatistes dans un environnement sous-marin, un retour en arrière sans doute assez peu pertinent de la part de l’auteur. Si ce dernier tome a été publié en un unique volume dans son édition française (merci !), il a en revanche été scindé en deux dans sa version originale. Autant le dire, la première partie, correspondant à ce premier volume (βehemoth: β-max), est trop verbeuse et ne sert pas à grand-chose. Elle aurait sans doute pu être condensée à la dimension de quelques chapitres sans altérer l’intrigue de la deuxième partie (βéhémoth: Seppuku), qui voit Clarke et son camarade Ken Lubin retourner à terre, dans une Amérique apocalyptique particulièrement bien rendue, où seules quelques enclaves conservent un environnement sain et une technologie digne de ce nom. Une technologie d’ailleurs menacée, malgré l’ef-fondrement des réseaux, par les Stupidités Artificielles apparues dans Rifteurs.

    À nouveau, Watts fait l’inverse de ce qu’il avait fait dans le tome précédent : si le sujet central (le vrai, pas l’écran de fumée) de Rifteurs était l’absence de libre arbitre induite par des modifications biochimiques ou chirurgicales impulsées par les corporations ou les gouvernements, βéhémoth place en revanche ses trois protagonistes principaux (Clarke, Lubin, Desjardins) dans une situation où plus aucune barrière éthique ou morale ne les empêche de faire ce dont ils ont envie, ou ce qui leur paraît nécessaire. Dans le tome 2, Clarke causait indirectement et involontairement la mort de millions de personnes, aveuglée par sa volonté de se venger de la corporation qui l’avait placée au fond du Pacifique ; cette fois, elle décide en toute conscience de tuer des centaines de personnes pour en sauver beaucoup plus. Dans Rifteurs, Desjardins tentait de garder son comportement de prédateur sexuel sous contrôle, le cantonnant à des jeux sadiques en réalité virtuelle ; cette fois, il perd toute inhibition et fait subir à un autre personnage un véritable calvaire, le lecteur basculant alors dans une atmosphère qui, dans son genre, se révèle tout aussi oppressante — quoique pour d’autres raisons — que celle de Starfish.

    Une thématique de fond développée dans cet ultime roman s’avère très intéressante : Watts explique que la conscience n’est pas rationnelle, car elle fait intervenir les centres cérébraux de l’émotion. Sa thèse est qu’elle est devenue, sur le plan évolutif, contre-productive depuis que l’homme a cessé de juste survivre à son environnement pour finir par le dominer. On remarquera que cette opposition calculs rationnels vs conscience, calculs biaisés par l’émotion, se retrouve chez d’autres auteurs de hard SF — à commencer par Greg Egan dans Cérès et Vesta (le Bélial’, 2017).

    Une fois de plus, l’auteur canadien fait mine de brouiller son propos, centrant sa narration sur de nouvelles menaces pesant d’abord sur la communauté sous-marine des rifteurs, puis sur l’Amérique du Nord (confinée de force par le reste du monde, sous la menace constante d’attaques par missiles répandant un étrange produit, et dont la rumeur dit que les puissances étrangères pourraient bien faire usage du feu nucléaire prochainement). Multipliant les fausses pistes, Watts ne se montre cependant pas aussi efficace dans cet exercice que dans les deux romans précédents, et ses révélations se devinent facilement (à l’exception d’une, qui pourra éventuellement être difficile à accepter mais qui constitue un nouveau changement de paradigme venant chambouler les fondamentaux des tomes précédents). Si on ajoute à cela une fin abrupte, un peu trop facile pour les héros, et surtout un épilogue insatisfaisant dans sa concision, tant une révélation pleine de sense of wonder remet, cette fois, toute la vie sur Terre en perspective, considérer βéhémoth comme le tome le plus faible de la trilogie est une évidence. Il n’en reste pas moins que Desjardins demeure ici l’un des plus fascinants personnages de la SF des deux dernières décennies, et que dans ce tome 3 comme dans les autres, les thématiques de fond sont traitées avec une intelligence rare — et une justification scientifique dont on prendra la mesure à travers les postfaces, qui, comme toujours chez Watts, sont impérativement à lire tant elles sont intéressantes, pour ne pas dire fascinantes.

    Au bout du compte, la trilogie « Rifteurs » constitue un monument du postcyberpunk et de la hard SF, une science-fiction magistrale irriguée par les thématiques de la biotechnologies et du posthumaniste. En dépit d’un tome final plus faible que les deux autres, on la recommandera vivement à tout amateur de SF de haute volée à forte caution scientifique. Comme dans Vision aveugle, dont Starfish, avec ses personnages névrosés et sa mention de « vampires », semble presque être une répétition générale, Watts s’empare de thématiques transhumanistes et les traite avec une rare intelligence, en demande sans doute beaucoup à son lecteur (surtout celui maîtrisant mal la biochimie, la biologie moléculaire, la génétique et la bactériologie/ virologie) mais ne le prend jamais pour un imbécile, lui fournissant (y compris dans les postfaces) toutes les clefs lui permettant de comprendre son roman. L’auteur canadien atteint ainsi, dans un genre différent de son confrère australien Greg Egan, le pinacle de ce que la hard SF et, au-delà, la science-fiction dans son ensemble, ont de meilleur à offrir.

APOPHIS (site web)
Première parution : 1/1/2019
Bifrost 93
Mise en ligne le : 19/7/2023

retour en haut de page

Dans la nooSFere : 87251 livres, 112067 photos de couvertures, 83685 quatrièmes.
10815 critiques, 47149 intervenant·e·s, 1982 photographies, 3915 adaptations.
 
NooSFere est une encyclopédie et une base de données bibliographique.
Nous ne sommes ni libraire ni éditeur, nous ne vendons pas de livres et ne publions pas de textes. Trouver une librairie !
A propos de l'association  -   Vie privée et cookies/RGPD