Pendant l'été 1816, le temps est exécrable sur les rives du lac Léman. La villa Diodati abrite des hôtes illustres : Lord Byron, Percy et Mary Shelley, Claire Clairmont et le docteur Polidori, secrétaire et souffre-douleur de Lord Byron. Polidori reçoit d'étranges lettres qui l'informent de l'existence des sœurs Legrand, des comédiennes scandaleuses, courtisanes, célèbres et méprisées. Elles sont jumelles mais il existerait une troisième sœur qui, pour des raisons obscures, devrait rester cachée. Un monstre peut-être ? Qui propose à Polidori un étrange pacte littéraire ? Qui écrit ces lettres scellées à la cire noire ? Que devra-t-il donner en échange du chef-d'œuvre littéraire dont il rêve ? Cette villa des mystères est le théâtre d'un roman gothique moderne qui explore avec malice des régions insoupçonnées et troublantes de la sexualité.
Federico ANDAHAZI est né à Buenos Aires en 1963. Son premier roman, L'Anatomiste, après avoir gagné un grand prix littéraire en Argentine a été traduit en quinze langues et est devenu un best-seller aux Etats-Unis. La Villa des Mystères est son deuxième roman.
L'anecdote est connue. C'est en 1816, au décours d'une soirée à la villa Diodati et à la suite d'un tournoi littéraire lancé entre Lord Byron, son étrange secrétaire Polidori, le poète Shelley et sa femme Mary, qu'est né Frankenstein et, du même coup, un genre qui s'appellera plus tard la science-fiction. Cette page d'histoire figure déjà dans le Frankenstein délivré de Brian Aldiss.
De ce pari naquit aussi un autre texte, Le Vampire, qui parut peu après sous la signature de Lord Byron. Celui-ci s'empressa de démentir l'avoir écrit et Polidori dut en reconnaître la paternité. Bien que moins important que le futur Dracula de Stoker, Le Vampire est pourtant le premier récit de la littérature vampirique (voir à ce sujet un article de Francis Lacassin).
Andahazi revient sur les circonstances qui ont entouré la création de deux des plus fameuses figures de la SF et du fantastique. De bien étranges circonstances, car, dans cette version, Polidori ne trouve son inspiration qu'après la rencontre de bien étranges sœurs et d'une abominable créature, avide non de sang mais de sperme...
S'achevant par une stupéfiante révélation sur l'ensemble de la littérature du XIXème siècle, La Maison du mystère est un savoureux roman fantastique, beaucoup plus ironique qu'effrayant, où l'intrigue sert de prétexte à une maligne parabole sur l'écriture et sur le sacrifice personnel qu'elle peut demander. Voilà quelque 150 pages vite dévorées qui valent le détour.
Repris en poche après une première édition chez Métailié (dont on ne se lasse pas de vanter la justesse de vue éditoriale), La Villa des mystères est une œuvre courte, issue de l'imagination délirante et débridée d'un auteur argentin inconnu sous nos longitudes. C'est l'occasion pour le lecteur francophone de faire une incursion jubilatoire du côté du fantastique « Rio de la Platesque », genre très particulier dont les plus illustres représentants s'appellent Borges, Cortazar ou Quiroga. C'est qu'à l'instar des anglais (et au contraire des français, décidément irrécupérables), les sud-américains n'ont pas de problèmes de conscience post-idéologique à l'idée d'écrire (et à fortiori, de lire) du fantastique, allant même (quelle impudence) jusqu'à classer parmi leurs classiques des œuvres qui relèvent purement et simplement de ce genre si décrié dans nos contrées.
De fait, le lecteur se plongera avec délectation dans ce hold-up littéraire qu'est La Villa des mystères. Hold-up, car il y est question d'une des plus grandes supercheries de l'histoire de la littérature (dont on s'abstiendra évidemment de souffler mot ici), hold-up car Federico Andahazi manie la plume avec une telle légèreté qu'il est impossible de lâcher la chose avant de l'avoir lue jusqu'au bout (voire relue).
Situé au tout début du XIXe siècle, La Villa des mystères gravite autour du fameux séjour à la Villa Diodati de cinq personnages peu recommandables, lesquels se donnent comme défi littéraire d'écrire la meilleure histoire de fantastique gothique qui puisse se concevoir. Vous l'aurez compris, il s'agit là de Percy et Mary Shelley, Lord Byron et Claire Clairmont, tous quatre flanqués du sombre docteur Polidori, raté patenté et secrétaire jaloux de Byron.
De ce séjour tout sauf anodin naîtra l'un des plus grands romans de la littérature contemporaine, Frankenstein ou le Prométhée moderne, signé Mary Shelley. En parallèle, c'est aussi l'occasion pour Lord Byron de livrer un demi-roman, jamais achevé, dont le thème sera repris par Polidori (au très grand agacement de Byron, qui l'avait renvoyé depuis peu) à l'occasion de son chef-d'œuvre Le Vampire. Voilà pour la vraie réalité de la vraie vie.
Dans le roman de Andahazi, les choses se découpent selon l'Histoire, mais sont vues à travers le prisme (déformant) du fantastique. Polidori y joue le rôle d'un homme frustré, brûlant d'accoucher du chef-d'œuvre qui lui ouvrira enfin les portes de la gloire, lui donnant ainsi la juste revanche dont il rêve depuis des années sur son patron/rival Byron.
Alors que le docteur Polidori est l'objet des moqueries des autres convives du séjour, alors que la tempête se déchaîne sur le lac Léman et que la Lune gibbeuse inonde la lande de gouttelettes photoniques blanchâtres (il faut faire gothique, on vous dit), une manifestation surnaturelle change le cours du roman (une manifestation qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le très délirant Pizzeria Inferno de Michele Serio (critique in Bifrost 31) publié là encore — mais est-ce vraiment un hasard ? — chez Métailié).
Rongeant son frein dans le placard puant qu'on lui a assigné comme chambre, Polidori trouve une étrange lettre, écrite par un monstre, qui lui conte l'histoire pleine de stupre et de fornication des jumelles Legrand. Affamées de sexe et de sperme, les deux sœurs (désormais vieilles) n'ont-elles pas un secret à cacher ? Et quel funeste pacte acceptera Polidori en obéissant à ces mystérieuses lettres ?
Si le propos tient évidemment du roman gothique, Andahazi s'amuse énormément à nous décrire les scènes pornographiques les plus rudes avec une plume très XIXe siècle. On rit beaucoup, on tremble parfois, mais on reste stupéfait par la maestria avec laquelle l'auteur tisse son histoire. Chapitres courts et incisifs, haute tenue littéraire, pour un scénario évidemment abracadabrant, mais somme toute parfaitement crédible. Bref, un coup de maître pour un roman hommage à lire absolument. Félicitons au passage Folio « SF » de l'avoir inscrit à son catalogue.