Captain MARRYAT Titre original : The Phantom Ship, 1839 Première parution : The New Monthly Magazine, de mars 1837 à août 1839 / En volume : Angleterre, Londres : E.L. Carey & A. Hart, mai 1839ISFDB Traduction de Auguste J. B. DEFAUCONPRET Illustration de Albert Pinckam RYDER
José CORTI
(Paris, France), coll. Merveilleux n° (HS) Dépôt légal : 3ème trimestre 1998, Achevé d'imprimer : septembre 1998 Réédition Roman, 528 pages, catégorie / prix : 135 F ISBN : 2-7143-0655-1 Format : 13,5 x 21,5 cm✅ Genre : Fantastique
Oublié - peut-être pour avoir osé publier des romans pour la jeunesse et, pire, avoir connu un franc succès grâce à eux -, Marryat est avant tout un conteur-né qui suscitera l'engouement de personnalités aussi diverses que Woolf, Coleridge, Conrad, Ruskin, Thackeray ou Daudet. Même s'il n'est pas le premier - Smollett l'a précédé - "Captain" Marryat fait entrer par la grande porte l'aventure maritime dans la littérature. Si Marryat est peu intéressé par l'aspect métaphysique de la mer - comme le seront Melville et Conrad - , il en fait - alliée ou ennemie, salvatrice ou destructrice - un personnage à part entière, tout comme les grandes forces élémentaires : le vent, le soleil, les éclairs. La mer est un théâtre, le voyage un rite de passage de l'adolescence à l'âge adulte lors duquel réel et imaginaire tiennent tour à tour la barre. La mer est aussi cette ultime ordalie devant laquelle personne ne peut mentir - les croyances, la loyauté, la moralité y sont rudement mises à l'épreuve.
Le charme duVaisseau fantôme est intact, telle une eau de jouvence pour des esprits imprégnés de freudisme et de doute qui, peu enclins à croire aux héros, restent néanmoins avides de péripéties endiablées, d'humour et de vigueur. Le vaisseau fantôme n'est pas un roman psychologique : pas de diable qui révèle l'ange, pas de héros qui masque un pleutre. Toutefois, à la faveur d'une description nette et ciselée de tous ces personnages au caractère univoque qui le hantent : Philippe, le vrai héros en quête, Amine, son grand amour - figure de légende à elle seule -, Schrifften, son adversaire pugnace au rire surnaturel, Krantz, son ami valeureux au destin tragique et toute la cohorte de capitaines obsédés, de pères avares ou de prêtres fourbes, c'est une véritable comédie humaine qui se joue sous les yeux du contemporain, captivé par ce sens du récit dont la littérature populaire du XIXe siècle a détenu le secret.
Si le lecteur a dans l'oreille les quelques phrases musicales de la version que donne Wagner du Hollandais volant, ou dans l'œil l'apparition mythique d'Ava Gardner devant James Mason dans Pandora, nul doute que cette traduction antérieure du mythe tiendra, dans sa mémoire, la comparaison.
1 - Claude COMPTE, Postface, pages 481 à 486, postface 2 - Claude COMPTE, Dossier, pages 487 à 522, dossier
Critiques
Les éditions José Corti proposent une nouvelle collection baptisée Domaine merveilleux dont l'objectif est de promouvoir des textes oubliés ou inédits en français, en y ajoutant des dossiers précis et érudits. Quand on connaît la richesse du « Domaine Romantique », on peut en toute confiance s'engager dans ces contrées qui verront se croiser les routes des Frères Grimm, Hauff, Stoker, Straparola...
Le Vaisseau fantôme inaugure de belle manière le grand format de la collection. Contemporain de l'opéra de Wagner (1843), le roman de Marryat développe le mythe du Voltigeur hollandais esquissé dans Rip Van Winkle de Washington Irving — pour retenir un exemple anglo-saxon alors récent. À la suite de Philippe en quête de son père, capitaine maudit du navire entre-deux-eaux, le lecteur est convié à s'ouvrir à une communication avec les trépassés, du moins avec ceux qui ne sont ni morts ni vivants, sur qui le temps n'a aucune emprise. Les innombrables traversées entreprises pour toucher du doigt la légende s'apparentent alors à la légitimation d'un mythe fuyant par essence, spectral par nature, dans un univers où les impératifs politiques, économiques, voire religieux (l'Inquisition est omniprésente, la belle Amine en sera la victime), poussent les êtres à croire que « le temps des miracles était passé ». N'oublions pas qu'au début du XIXème siècle, nous sommes dans une période romantique attachée au folklore et aux traces d'un enchantement du monde.
Voilà pour la prétention imaginaire du texte. La narration obéit par ailleurs au plaisir de raconter affiché par le Captain Marryat — cette voix interrompant le récit se fait notre complice, ajuste des traits d'esprit qui font mouche. Sans oublier d'imprimer à l'intrigue un rythme soutenu. D'emblée, point de préambule, mais une avalanche de péripéties, et nous sommes encore sur le plancher des vaches. La suite ne baisse pas de régime, passe en revue attaques de fort, naufrages, spectres, chasses au trésor, autodafé, malédictions, empoisonnement, prémonitions, magie, et même un loup-garou. En effet, Krantz, fidèle compagnon de Philippe, place peu avant le dénouement un récit dans le récit brutal et gothique qui a pour cadre la montagne magique du Harz.
Le charme agit aussi parce que Marryat, défenseur de la littérature populaire et de jeunesse, passe du réalisme au merveilleux avec un naturel déconcertant, sans se départir d'une justesse d'observation vive — une scène bien sentie (on songe à l'équipage rendu fou par l'or) suffit à dire une vérité psychologique — et d'un sens évident du spectaculaire.
Bref, l'opportunité nous est donnée de retrouver un mythe daté pourtant exaltant, de nous engager dans un océan d'histoires roboratif à une époque où les récits hésitent trop souvent à prendre le large.
Guy ASTIC Première parution : 1/1/1999 dans Ténèbres 5 Mise en ligne le : 1/11/2003