L'après-révolution, c'est toujours difficile. Il y a les anciens alliés de circonstance, qu'il faut gérer, les rancoeurs qui resurgissent, les vengeances inassouvies, les coups bas qui se transforment en coups tordus et les amis qui s'éloignent... L'après, c'est toujours quelque chose de terrible. Et de pas très propre. Mais Maïe, elle est historienne, elle aime bien que les choses soient carrées, alors elle cherche, elle s'intéresse... surtout quand ses amis se font tuer.

     Le théorème de Gödel dit que, dans certaines circonstances, on ne peut démontrer qu'une assertion est vraie ou fausse. Malheureusement pour Maïe, qui cherche, recoupe, déduit mais n'a pas de certitudes. Les certitudes, ça n'existe que dans les romans, dans la vie, le doute subsiste toujours  ; comme dans cette enquête tortueuse, au sein d'un monde futuriste mais terriblement contemporain.

     Les périodes qui suivent une révolution sont toujours troubles. Ce n'est pas nouveau, mais voilà le fil conducteur de ce roman qui s'amuse en effet à nous perdre parmi les multiples protagonistes qui vont jouer un rôle, majeur ou mineur, dans l'avènement d'un nouveau pouvoir. Les personnages sont nombreux, l'auteur jetant de pleines poignées de prénoms à chaque page, sans que le lecteur parvienne au début à repérer qui est qui.

     Nous savons cependant que Maïe est une historienne, à la fois narratrice et protagoniste du récit. Elle va tenter de relater et d'analyser les faits dont elle est le témoin. Pour parfaire l'illusion, la courte biographie qui précède le roman est celle du personnage et non celle de l'auteur homonyme.

     Les lieux ne sont pas mieux caractérisés que les personnages. Quelques noms obscurs entourent les « Etats Centraux  ». Ce monde est dit « futuriste  », mais sa nature est assez floue, et sa localisation spatio-temporelle difficile à préciser.

     Illustrer le désordre post-révolutionnaire par ce chassé-croisé incessant d'individus mal cernés, aux motivations obscures, et aussi par un style tortueux qui sème volontairement la confusion, c'est une idée intéressante. On aimerait donc pouvoir se passionner pour ces luttes intestines qui opposent les personnages... Mais en fait, le récit tel qu'il est s'avère puissamment soporifique. A force de confusion, le lecteur finit par se désintéresser totalement des enjeux du roman et du propos de l'auteur. Quand il parvient enfin à reconnaître certains personnages, il est trop tard pour qu'il ait encore envie de les accompagner.

     «  Le Théorème de Gödel dit que, dans certaines circonstances, on ne peut démontrer qu'une assertion est vraie ou fausse.  » nous apprend la quatrième de couverture. Il nous démontre cette fois que, dans d'autres circonstances un lecteur peut s'en moquer, et s'ennuyer ferme  !

     Le théorème de Gödel dit grosso modo que si un système axiomatique est suffisamment riche pour engendrer l'ensemble des nombres entiers, on ne peut pas démontrer qu'il est complet et non-contradictoire. L'auteur n'en use que comme d'un vague principe d'incertitude, et le livre n'a pas grand-chose à voir avec, organisé qu'il est autour d'une enquête criminelle dans un contexte de bouleversements politiques.

     Depuis la chute du dictateur Gléguen, qui régnait sur les États centraux et leurs protectorats, le pays d'Anlon est à nouveau en proie à des combats interethniques. Tandis que Mir, le libérateur, est l'objet de soupçons pour les décès de sa femme Eva (fille de Gléguen), puis de son ami Mathias. Maïe Zelay, citoyenne d'Arias, autre État périphérique dont l'indépendance a libéré une expérience anarcho-utopique, est à la fois témoin et investigatrice dans une histoire dramatique dont Sophie, la propre sœur de Mir, est le protagoniste désemparé.

     Le monde de Zelay évoque Le Guin : plus avancé que le nôtre par endroits, moins avide de technologie, il ne partage ni notre histoire ni notre géographie. Tout en calquant des références très précises : Arias est l'Occitanie (le mot « oustal » dès la page 1, une hérésie manichéenne décalquée du catharisme), et Anlon est la Bretagne, avec ses noms de personnes et de lieux, jusqu'à la dualité entre Rennes (Tuchen) et Nantes (Cambo). La problématique est celle de la tension entre identités (« régionales », dans l'État français actuel) et accueil/rejet des immigrés. Le traitement est ambigu : nul ne regrette la dictature centraliste, mais les seuls crimes décrits sont ceux de nationalistes (périphériques), une épuration ethnique inspirée par l'histoire récente. Peut-être l'autre roman de « Maïe Zelay » (mentionné par l'éditeur) comble-t-il cette lacune.

     Le défaut majeur du livre est d'ordre littéraire : une foule de personnages encombrant un prologue confus, j'ai mis longtemps à saisir leurs rapports. Le roman s'améliore en avançant, mais demeure chargé en dialogues abstraits, et trop pauvre en situations vécues. Quant aux retournements, ils ont la brusquerie qui gâchait les suites de Dune... En-dehors de quelques paragraphes de description travaillés, l'écriture ne me séduit guère plus ; Zelay a le mérite de l'invention de situations, et de personnages attachants (quand elle les met en scène assez longtemps), mais manque encore de métier.