Bien qu’il ait été édité dans la collection « Angoisse » du Fleuve Noir, « Laisse toute espérance », de Benoît Becker, est plus qu’un roman de terreur, puisqu’il appartient en même temps au genre fantastique, démonologique et même philosophique. Il a pour héros un médecin anglais, Jerry Sandhurst, dont la maîtresse, Jessica, se trouve sous l’influence d’un professeur fou, Gloag, interné après avoir éventré trois femmes. On avait cru tout d’abord à des crimes de sadique, mais Sandhurst découvre que, en tuant ses victimes, Gloag ne faisait que lutter contre la Mort et, pour y arriver, n’avait qu’un moyen : retourner dans les temps passés en recueillant le dernier soupir de trois créatures agonisantes et en s’emparant de l’âme vivante d’une quatrième. Cela nous vaut un voyage au XVe siècle où Sandhurst retrouve sa bien-aimée mariée avec Gloag. La fin m’a fait penser à cet admirable film anglais, « Au cœur de la nuit ». Sans être un chef-d’œuvre, « Laisse toute espérance » n’en est pas moins le meilleur des trois « Angoisse » que Benoît Becker a publiés depuis un an, et certaines faiblesses de construction sont compensées par des chapitres pleins d’une atmosphère grandguignolesque qui, à aucun moment, ne sombre dans le ridicule.
Après Agapit, Steiner et Bruss, voici enfin réédité le quatrième et dernier grand angoisseur de la défunte collection « Angoisse ». Publié en 1955 (n° 10 de la série), Laisse toute espérance est le meilleur des douze romans de l'auteur, celui ou ses tendances éparses sont le mieux représentées : vertige de la folie (pouvoirs mystérieux du dément John Gloag), innocence et fragilité féminines persécutées (calvaire de Jessica, saisie par des forces qui la dépassent), ambiguïté des perceptions de l'univers (plongée au Moyen Age). Mais surtout, éclate ici le prodigieux sens visuel de Becker, qui a réussi mieux que personne à faire sourdre l'angoisse d'éléments atmosphériques troubles et omniprésents : brume, brouillard, pluie, orage... Un roman qui ne demande qu'à être porté au cinéma. Il y a un volontaire ?