UN HONNETE TIERCE
De Tzvetan Todorov a Roger Caillois, de Marcel Schneider au Tandem Goimard/Stragliati, bon nombre de théoriciens de la littérature se sont .penchés sur la notion de fantastique et ont posé l'« impossible » problème de sa définition. Dans son
Panorama de la littérature fantastique de langue française paru récemment chez Stock
1, Jean-Baptiste Baronian ne refuse pas l'obstacle : « En somme le fantastique est d'abord une idée, un simple concept que le récit littéraire module à sa guise, à l'infini. L'idée que notre monde, notre quotidien peut à tout moment être dérangé, transgressé, bouleversé de fond en comble, être perçu autrement que par la raison raisonnante, devenir un champ d'inconstance, d'aléa, de duplicité, d'équivoque, une chimère, le mouvement même de l'imaginaire » (p. 23).
Les trois derniers volumes de la collection Horizons de l'au-delà, rééditions de trois « Angoisse » de la première époque, semblent marier avec un certain bonheur le fantastique populaire qui était.la marque de fabrique de cette collection et la « dialectique du dérangement » chère à Baronian.
Dialogue avec l'astral, forces occultes, envoûtement, mage, tout le douteux bric-à-brac du paranormal est présent dès les premières pages de L'orgue de l'épouvante de Jean Murelli. Mais le journaliste Luc Rohart est un sceptique farouche et se refuse à interpréter la disparition de son collègue Vérac en termes surnaturels. Son enquête le conduit dans un petit village de province dans lequel s'est retiré l'inquiétant docteur Domitis. Celui-ci est-il un fou criminel dont la raison a chancelé à la suite d'obscures recherches sur le cerveau humain ou bien ?... Mais qui saura jamais la vérité sur le Vampire de l'Abbaye et sa troublante compagne ?
Parce que sa ligne de vie s'arrête net au milieu de sa main, Paul Clarmont, le pitoyable héros de Syncope blanche, est persuadé qu'il ne dépassera pas la trentaine. Et de ce fait, un soir d'éthylisme avancé, il se tranche l'artère radiale en voulant prolonger sa ligne de vie avec une lame de rasoir ! Syncope, état de choc, mort clinique, Clarmont est sauvé de justesse par un énergique massage cardiaque. Mais « revenu d'entre les morts » comme l'avait prédit Zirga la Gitane, il se prend dès lors pour un vampire. Et le besoin névrotique de s'identifier totalement à son personnage provoque dans son corps de profondes modifications physiques... C'est du moins l'explication scientifique avancé par l'interne qui a « ressuscité » Clarmont...
Terreur se présente comme une sombre machination tramée par deux sœurs pour rendre fou et tuer Thorwald Egsten le mari de l'une d'entre elles, afin de s'approprier son héritage. Nuits de tempête sur la côte danoise, manoir obscur où les portes grincent et les pianos jouent tout seuls de la musique, Becker sait créer une ambiance de... terreur. Roman policier morbide et non roman fantastique, m'objectera-t-on ? Mais depuis quand les cadavres ressuscitent-ils pour se venger ?
Laissons la conclusion à Baronian : « Employer ainsi les ressorts habituels du fantastique pour raconter des histoires d'aujourd'hui, dans le monde et les décors d'aujourd'hui — des histoires efficaces et simples — c'est ce qui caractérise les auteurs de ce que j'appellerai l'école du Fleuve Noir » (p. 230), à laquelle les Horizons de l'au-delà redonnent une seconde jeunesse méritée.
Notes :
1. Cf critiques dans Fiction 299.