Titre bien choisi pour ce troisième tome d'une saga qui commence à prendre des dimensions amazoniennes par l'accumulation des trames, des personnages et des contrées, et qui par bien de moments évoque aussi le souvenir d'un autre cours d'eau célèbre dans les annales de la SF : le Fleuve de l'Eternité d'un certain P. J. Farmer. Comme l'univers créé par ce dernier, l'Autremonde de Tad Williams, un réseau d'environnements virtuels construit dans un avenir assez proche par une énigmatique Confrérie du Graal dont les membres se recrutent parmi les hommes les plus riches et les plus puissants de la planète, puise ses sources d'inspiration dans les stocks de la littérature de l'imaginaire, et cache aussi un “ noir dessein ”.
Pour le moment, les mystères ne cessent de se multiplier. À la fin du second tome, le groupe formé autour de Renie Sulaweyo, universitaire sud-africaine qui a décidé de pénétrer dans Autremonde pour sauver son petit frère, tombé dans le coma comme beaucoup d'autres enfants qui se sont approchés trop près des domaines de la Confrérie, avait atteint la Cité d'Or bâtie par Bolivar Atasco, l'architecte en chef du réseau devenu dissident. Mais suite à l'attentat mené dans le monde réel par le sinistre Terreur, agent psychotique aux ordres de Félix Jongleur, le dirigeant suprême de la Confrérie, Atasco meurt et Monsieur Sellars, qui guidait Renie et ses compagnons à distance, disparaît avant de leur fournir des explications. Les aventuriers savent seulement qu'ils doivent retrouver Paul Jonas, qui erre lui aussi dans Autremonde.
La jonction entre ces personnages n'est pas à l'ordre du jour dans ce troisième tome. Les uns arrivent dans un monde établi à l'intention des entomologistes, où les simuls virtuels des visiteurs sont miniaturisés pour pouvoir étudier de près la vie des insectes, avant de se disperser dans divers mondes, dont un inspiré du pays d'Oz (version concentrationnaire) et un autre sorti tout droit des carto(o)ns de Tex Avery. On apprend des choses sur l'étrange passé de Martine Desroubins, et on se demande qui parmi la bande n'est qu'un avatar infiltré par Terreur, qui cherche des renseignements afin de s'affranchir de son patron. Pour sa part, Jonas, pas complètement remis de son état amnésique, atterrit d'abord parmi des Néandertaliens, puis dans un Londres très wellsien. Mais il a ses propres sources d'information, notamment la voix d'une femme dans ses rêves, qui lui souffle son prochain objectif : une Montagne noire au cœur d'Autremonde. On continue également de suivre les agissements de Jongleur, qui a toujours des sueurs froides à cause de la terrifiante créature nommée l'Autre qu'il garde en captivité et qui semblerait être une pièce maîtresse dans le fonctionnement du réseau virtuel.
Difficile de prédire à ce stade de l'histoire comment tout cela va finir, mais on ne se lasse pas de ce vaste puzzle, à mi-chemin entre fantasy et science-fiction, tant les morceaux individuels et le tableau général qui commence à prendre forme restent fascinants. Parions aussi que les jeunes lecteurs, déjà adeptes des jeux de rôles ou situés dans les mondes virtuels, seront particulièrement sensibles à ses charmes ; toutefois, ces livres ne manquent pas d'attraits pour leurs aînés, grâce au foisonnement des allusions littéraires et historiques. Il y a encore un long bout du fleuve à parcourir, car le dernier des quatre tomes en anglais (qui en égaleront huit en français) vient tout juste de paraître, mais le cycle entier semblerait déjà avoir emporté une adhésion sans réserves de la part de la critique et des lecteurs anglo-saxons.
Tom CLEGG (lui écrire)
Première parution : 1/6/2001 dans Galaxies 21
Mise en ligne le : 3/8/2002