II y a d'abord Declan, le charismatique Maître des Changeurs de Visages, alternativement homme ou femme, et ses disciples qui apprennent l'art des apparences. Puis il y a Nand, la jeune adolescente des Abysses, mystérieuse­ment enfermée dans la cité sous-marine d'Abuion, qui étudie les textes des origines. II y a aussi Théo, l'étrangère rebelle et impulsive, qui veut passer l'épreuve du rite de Wansha pour devenir guerrière, et semble posséder d'étranges pouvoirs... Enfin il y a Keith, l'ambitieux cousin de Declan. Trop ambitieux peut-être. Car le rythme de Flocéan, l'entité aquatique vivante qui régule la vie de la planète, est bouleversé. Et ce lien vital risque d'être rompu...

 

Entre rêve et émotion,
plongez dans l'univers marin d'Eridan !

 

Jennie Dorny habite à Paris, mais elle elle est née dans le Massachusetts, aux États-Unis. Terres et falaises d'Irlande, paysages aquatiques, îles, lacs et bords de mer l'inspirent. Eridan est un planet opera, l'histoire d'un monde onirique où l'homme vit en symbiose avec l'eau, un roman emprunt de poésie, qui fait la part belle aux rapports humains.

     Eridan est le deuxième roman de Jennie Dorny, après Gambling Nova. Ce dernier — qualifié de « série B comme on l'aime » par Stéphane Nicot (in Galaxies n°16) lors de sa première parution aux éditions J'ai lu — devrait d'ailleurs reparaître en grand format chez Mnémos en 2003, dans une version révisée et augmentée, après la publication d'un troisième ouvrage intitulé Heris. Tous ces romans se déroulent dans le même univers, mais peuvent se lire indépendamment les uns des autres.

     Eridan est une planète aquatique comme la SF en a déjà imaginé plusieurs : Kithrun (dans Marée stellaire de David Brin), Aquatica (Corinne Guitteaud) et Autremer (Danielle Martinigol) pour n'en citer que quelques-unes... Ses habitants, les Eridanis, occupent les archipels aussi bien que les trois niveaux de l'océan — à partir de la surface, Claireau, Eaubleue et Froidnuit. La société des Eridanis est complexe et les différences régionales marquées. Par exemple, les Abyssans, peuple des profondeurs, obéissent à des règles rigides et pratiquent une forte discrimination sexuelle, au contraire des Clairaquins ou des Archipélagiens... Certains ordres ont une fonction précise, comme celui des Savalwomen, des guerrières proches des amazones, qui assument un rôle policier ; d'autres sont plus mystérieux, comme celui de ces Changeurs de Visages qui peuvent modifier à volonté leur apparence — masculine ou féminine, jeune ou vieille — au risque de souffrir de problèmes d'identité... Mais tous, bien que télépathes, considèrent comme un tabou absolu la violation de l'esprit d'autrui.

     L'océan, appelé « Flocéan », est lui-même une entité vivante et consciente — à l'image du Solaris de Stanislas Lem. Les Eridanis ont appris à vivre en harmonie avec cet océan-esprit et avec les kigbuths, les créatures aquatiques à sang chaud qui le peuplent. Une véritable symbiose matérialisée entre autres par l'Hlyk, un lien mental unique entre une Eridanie et l'un de ces animaux marins, dont la rupture pourrait menacer le fragile équilibre planétaire... Car depuis la récente Révolution, « sanglante rupture entre un passé spirituel et un présent politique », Eridan aborde un tournant décisif de son histoire. Elle se doit d'évoluer pour trouver sa place au sein de la fédération planétaire, même si cette évolution menace Flocéan. Mais « si Flocéan ne devenait qu'océan, Eridan disparaîtrait, et ses habitants se perdraient. » (p. 263)

     Eridan est à l'évidence un somptueux décor dont l'auteur escamote en grande partie l'aspect scientifique — certains lecteurs apprécieraient sans doute que l'écologie et la biologie de la planète soient plus développées — pour mieux mettre l'accent sur ses dimensions poétique et mystique, et surtout sur les sociétés qu'il abrite. Les personnages sont d'autant plus intéressants que l'auteur rend leur « différence » assez perceptible et crédible pour qu'on hésite à les qualifier d'« humains ». Exotisme et sens du merveilleux d'une part, intrigues politiques et relations amoureuses ou conflictuelles d'autre part, sont ainsi au cœur d'un agréable récit qui forme un planet opera plutôt classique dans son propos, mais prenant, riche en aventures et jamais ennuyeux... Jennie Dorny est assurément un auteur à suivre !