LIBRETTO
(Paris, France) n° 659 Date de parution : 5 septembre 2019 Dépôt légal : septembre 2019 Réédition Roman, 448 pages, catégorie / prix : 10,70 € ISBN : 978-2-36914-536-3 Format : 12,0 x 18,2 cm❌ Genre : Science-Fiction
Le 9 février 2012, un incendie détruit partiellement le fameux immeuble bâti entre 1947 et 1952 par Le Corbusier à Marseille : La Cité radieuse, de son vrai nom Unité d'Habitation. Au cours de sa réfection, un placard, qui n'avait pas été représenté sur le plan d'origine, est découvert. L'immeuble étant classé monument historique, une jeune archéologue, Colline, se rend sur place... et ouvre une porte donnant accès aux mythes et légendes remontant à l'Antiquité.
En quête d'identité, la jeune femme reconstitue un puzzle entre passé et présent, entre réel et fantastique.
Critiques
Quoi de plus contemporain, a priori, que l’Unité d’habitation se dressant à Marseille, dont Sous la Colline fait son décor principal ? Sans doute plus connu sous le nom de Cité radieuse, cet immeuble pensé par Le Corbusier s’affirme comme l’incarnation même de la modernité architecturale. Toute entière faite de béton, commandée par une stricte rationalité combinant en un seul espace habitations, services et commerces, la Cité radieuse a irrigué l’urbanisme de la fin du XX e siècle, engendrant notamment l’école brutaliste…
Quoi de plus viril, de prime abord, que cet immense monolithe ? Imprimant dans le paysage méditerranéen ses lignes rigoureusement rectilignes, l’immeuble a pour seul ornement des silhouettes masculines. Allégoriques, ces corps d’hommes stylisés impriment sur les raides parois de la Cité radieuse le Modulor ; ce concept architectural inspiré à Le Corbusier par le nombre d’or et à l’aune duquel s’organise son Unité d’habitation.
Pourquoi pareil lieu, ostensiblement placé sous le signe d’un mâle progrès, fascine-t-il l’héroïne de SouslaColline ? L’imaginaire de Colline — ainsi s’appelle la protagoniste du roman — est en effet tourné vers le passé. Et même le plus lointain, puisque Colline s’est choisie comme métier celui d’archéologue. Quant à la virilité, ce n’est plus son genre depuis que celle qui naquit dans un corps masculin y a renoncé, après s’être découverte en réalité femme puis avoir réalisé sa transition…
Parce que « Le Corbu », ainsi que Colline a rebaptisé la Cité radieuse, n’est en réalité pas ce dont il a pourtant si modernement et si virilement l’air. C’est cette identité secrète du Corbu que Colline entraperçoit à l’orée du roman. En février 2012, à la suite des dégâts provoqués par un incendie, un « placard inconnu » a été mis à jour dans ce monument historique qu’est la Cité radieuse. Alertée par Toufik, un vigile du Corbu, l’Institut National de Recherches Archéologiques y dépêche Colline. Tous deux découvrent, au-delà du réduit, une sorte de crypte recélant un navire semblable à ceux des Phocéens, les fondateurs de Marseille. Comme « encastrée » dans le très contemporain béton du Corbu, l’antique embarcation est d’autant plus surprenante qu’elle abrite le cadavre minéralisé d’une jeune fille. Mais l’extraordinaire découverte de Colline tourne court : agressée par le vigile en proie à une soudaine et étrange folie, peut-être même possédé, Colline sombre dans l’inconscience. À son réveil, si le navire demeure, il ne reste plus trace ni du corps, ni de Toufik… Résonnant en Colline telle « une épiphanie », ces instants énigmatiques la lient, désormais, de manière obsessionnelle au Corbu. Elle vient y habiter, accueillie par Flo, habitante de longue date de la Cité radieuse. Ainsi installée au cœur du Corbu, Colline part à la recherche de ses secrets.
D’un fascinant baroque, son enquête tient autant de l’investigation policière que de la communication médiumnique, se nourrissant de témoignages et de preuves comme de rêves. Un métissage générique dont l’écriture foisonnante de Sabrina Calvo reflète les différentes nuances, oscillant avec un même brio entre vérisme documentaire et lyrisme visionnaire. Psychogéographique et fantastique, l’envoûtante odyssée de Colline l’amènera (à proprement parler) de l’autre côté du béton, lui permettant alors de mettre à jour les fondements mythologiques et matriarcaux de la Cité radieuse. Et Colline comprendra dès lors pourquoi celle-ci la fascinait autant…
Le problème avec David Calvo, c’est qu’on voudrait toujours en lire plus alors qu’il ne nous en donne jamais assez. À sa décharge, il n’en est pas moins un hyperactif de la création en collaborant à plus d’une douzaine de jeux vidéo depuis 2012, année de son extraordinaire roman Eliott du néant, et aussi en continuant à faire vivre son web-comic Song of Beulah. Autant dire que la sortie d’un nouveau roman de ce méta-poète donne à la vie des atours de fête dont les afters peuvent se prolonger longtemps après la lecture, tant celle-ci illumine le cœur, réveille les sens et enchante l’esprit.
Avec Sous la colline, David Calvo met à exécution une grande idée : emmener ses lecteurs séjourner dans l’immeuble du Corbusier, à Marseille. En effet, qu’il s’agisse de la ville de Marseille ou de Charles-Edouard Jeanneret-Gris, dit « Le Corbusier », un réajustement de la qualité de l’image semblait plus que nécessaire : Marseille, la cité phocéenne, ne peut aucunement se résumer à un club de football, à une zone fatalement interlope ou à l’image aussi floue que fausse qu’en donnait un Pagnol très épinalisant. Calvo rend ses lettres de noblesse à une terre où la culture est riche, l’héritage antique et la modernité, naturellement, omniprésente. En 1952, cette modernité se traduit du haut de ses cinquante-six mètres par l’inauguration de « La maison du fada ». Et ici, la mise au point nécessaire était double : tout d’abord, distinguer Le Corbusier de son œuvre (oublier les travers de l’homme pour apprécier la singularité de sa création), puis distinguer son œuvre de ses avatars vérolés auxquels elle a donné naissance (et savoir faire la différence entre une Unité d’Habitation et une horrible barre de HLM).
Le pari est réussi et l’objectif dépassé. De page en page, le lecteur découvre « Le Corbu » de l’intérieur, son génie de conception et le bonheur qu’il apporte à ses occupants dans une aventure mystique où les mythes fondateurs de Marseille se réveillent et se font menaçants.
Bien d’autres surprises, et pas des moindres, en termes de profondeur thématique, font de la lecture de Sous la colline un véritable délice qui oblige le chroniqueur à sortir de sa réserve habituelle pour s’écrier : « Vas-y mon gars et surtout ne t’arrête pas : tu es comme une lumière dans la nuit noire. »
Grégory DRAKE Première parution : 1/1/2016 Bifrost 81 Mise en ligne le : 27/12/2022