Le Temps obsède Tucker. Le Temps qui oblige à la confrontation entre univers parallèles, reliés par d'étranges time travellers.
La Terre connaît une nouvelle période glaciaire. Suivant la route des glaces vieilles de douze mille ans, l'inlandsis du Groenland pousse ses langues de gel jusqu'aux fleuves Ohio et Missouri. Petit à petit la civilisation recule et laisse la place au froid, au blizzard et aux loups. Ce n'est pas
Le navire des glaces et sa tragique beauté, mais plutôt la tristesse de
Quintet, l'amertume d'un monde à l'agonie inexorablement repoussé par des murailles de gel. Aux avant-postes de la mort blanche, sur la frange de l'inlandsis, « Fisher » Yann Highsmith et le personnel de la base de Regina se livrent à une étonnante besogne : récolter les étranges débris qui tombent du ciel, analogues à ceux recensés naguère par Charles Fort dans son fameux
Livre des damnés. D'où viennent-ils, ces fragments d'artefact ? De quel monde futur sont-ils les défenseurs, ces cadavres de guerriers -morbides time travellers — qui tombent doucement, dans le silence ouaté d'un éternel hiver qui se répand sur la planète ? De quelle civilisation à venir « Fisher » Yann Highsmith est-il l'archéologue ?
Dans
L'année du soleil calme 1, Brian Chaney était envoyé par le Pentagone dans le futur, vérifier les prévisions des prospectivistes. Dans
A la poursuite de Lincoln, c'est vers le passé qu'est propulsé le Chercheur Temporel Benjamin Steward. Le travail des C.T. consiste à collecter des objets historiques afin de satisfaire la demande des musées et des collectionneurs privés. (A vrai dire, le but réel n'est pas d'ordre culturel, mais plus prosaïquement d'ordre financier : un tir temporel coûte très cher, et l'argent ainsi gagné atterrit directement dans les caisses impériales !) Apparemment, la mission de Benjamin Steward est des plus simples : enregistrer te discours prononcé par Abraham Lincoln le 29 mai 1856 à la Convention Républicaine de Bloomington et que l'Histoire n'a pas retenu. Hélas, dès le début tout foire dans le tir. Benjamin est envoyé le lendemain du fameux discours. Un nouveau tir l'envoie — avec ses coéquipiers — au jour J ; mais, s'il s'attarde, ne risque-t-il pas de se rencontrer et donc de s'annuler ?
Par petites touches, Tucker décrit avec sobriété deux mondes en présence. Celui de Lincoln et celui des Chercheurs Temporels (700 ans après la Seconde Révolution). Celui de la Glace et celui du Fer. Des mondes que tout oppose et que Tucker évoque par bribes et ricochets, le lecteur étant sommé de reconstituer la mosaïque à l'aide de quelques fragments. Tout comme « Fisher » Yann Highsmith. Décor et personnages sont brossés avec réalisme, une tranquille autorité et un sens certain de l'humour.Il se passe peu de choses dans ces deux romans, mais il est pourtant bien difficile d'échapper à l'envoûtement du texte, étonnant d'intelligence et de charme.
Wîlson Tucker est un auteur peu connu en France, malgré le remarquable L'année du soleil calme. Né en 1914. fan d'une prodigieuse activité dans les années 30., il a fait paraître sa première nouvelle en 1941. Sa production est très étalée dans le temps, puisque A la poursuite de Lincoln date de 1957 (avec un additif de 1968) et La glace et le fer de 1974 (et non 1979, comme l'indique le copyright). En réunissant ces deux passionnants romans sous une même couverture, le CLA, justifie parfaitement sa formule omnibus en permettant de mieux faire connaître un auteur grâce au double éclairage ainsi réalisé. Une réussite !
Notes :
1. Laffont « Auteurs et Demain » (réédité au livre de Poche).
Denis GUIOT
Première parution : 1/6/1980 dans Fiction 309
Mise en ligne le : 1/5/2009