Lisa GOLDSTEIN Titre original : Summer King, Winter Fool, 1994 Première parution : Tor, 1994ISFDB Traduction de Monique LEBAILLY Illustration de (non mentionné)
RIVAGES
(Paris, France), coll. Fantasy Dépôt légal : mai 1997, Achevé d'imprimer : avril 1997 Première édition Roman, 276 pages, catégorie / prix : 129 FF ISBN : 2-7436-0231-7 Format : 15,4 x 23,5 cm✅ Genre : Fantasy
Dans un monde où rois, dieux et poètes-mages se côtoient, Valemar, jeune courtisan épris de poésie, part à la recherche de sa propre identité. Soldat pris dans un conflit où s'affrontent de puissants magiciens, pion inconscient des intrigues d'une famille royale qui s'entredéchire pour la possession du trône, Valemar devra aussi souffrir avec tous ses concitoyens d'un hiver terrible qui semble ne pas vouloir finir. Pourquoi le dieu de l'Hiver n'est il pas remonté au ciel pour faire, comme il se doit, place au dieu de l'Été ?
Grâce à une courageuse et ravissante bibliothécaire qui va, elle aussi, se découvrir un destin inattendu, Val s'élèvera très haut sur cette échelle qui relie la terre au ciel. Il atteindra enfin ce lieu où le Roi et le Fou se retrouvent en tête à tête, jumeaux opposés, Janus de la pièce de monnaie que les dieux se lancent avec insouciance.
Après les remarquables Jeux étranges du Soleil et de la Lune, Lisa Goldstein nous transporte à nouveau dans un univers féerique chargé de mystère. L'amour, l'idéalisme et les compromis, autant de thèmes forts qui s'expriment chez elle au fil d'une mélodie magique.
Critiques
[Critique de la version originale parue chez Tor]
Après un certain nombre de romans de SF (The Dream Years — un des rares livres de SF à traiter directement de Mai 1968 ! — , A Mask for the General), et d'ouvrages de fantasy situés au sein de décors d'une originalité méritoire (la Deuxième Guerre mondiale pour The Red Magician, le Moyen-Orient imaginaire des touristes inquiets pour Tourists, l'Angleterre élisabétaine pourStrange Devices of the Sun and Moon), Lisa Goldstein se décide à tendre sa toile sur le cadre éprouvé de la fantasy classique. Jugez-en : vous trouverez dans le livre une cour royale, des paysans aux conditions de vie moyenâgeuses, des batailles de magiciens, un héritier royal dissimulé et finalement révélé... et même une carte du pays en début de livre !
Val, courtisan frivole de la cour du roi Gobro d'Etrara, va se trouver exilé par les manigances de son cousin Narrion. Il découvrira dans un petit village de pêcheurs — qui reste dépositaire la plus grande bibliothèque du pays, trésor de secrets magiques — une sagesse à laquelle il ne s'attendait pas. C'est donc avec un peu de recul qu'il s'engage dans la guerre contre le pays voisin des Shaï... ce qui ne l'empêche pas d'en subir les vicissitudes.
Si Goldstein laisse luire quelques reflets de son roman précédent — intrigues de cour, importance donnée aux troupes de comédiens — , elle sait donner corps tant de premier abord aux jeux politiques feutrés des rivalités dynastiques qu'ensuite aux plus dure réalités de la résistance d'un pays occupé. Les batailles, si elles font leur place aux magiciens militaires, sont vues telles qu'elles pouvaient se présenter au Moyen Âge — de sanglantes mêlées suivies du rançonnement des prisonniers.
On se prend à tant apprécier cet aspect purement « roman historique » du livre qu'on en oublierait qu'il s'agit de fantastique, et que la présence de la magie (et de la religion qui lui est liée) n'est pas décoration superflue. La magie présente ici l'originalité de son mode d'emploi : les invocations doivent être poétiques, de préférence improvisées, et les duels de magiciens sont de terribles duels de poètes (dont les détails, bien entendu, ne sont pas plus donnés que ceux des inventions merveilleuses qui parsèment les œuvres de SF). On y verra une autre expression du désir (frustré) de pouvoir que peuvent ressentir les gens de plume, puisqu'ici comme dans maint roman SF, absurdiste, ou fantastique, le verbe se fait réalité tangible. Point beaucoup plus remarquable, la magie de Summer King, Winter Fool ne se réduit pas à un substitut de technologie, ou un agrandissement du moi : comme dans les cultures animistes où la religion est nécessaire au bon fonctionnement du monde, l'univers d'Etrara a besoin de ses dieux pour survivre, et la magie peut être un moyen de les invoquer.
Plus précisément, c'est l'ordre des saisons qui se trouve remis en cause, et la vérité m'oblige à dire que, pour l'essentiel du livre, magie et religion demeurent à deux niveaux bien distincts, la première s'occupant surtout des affaires des hommes, la deuxième se mêlant à une sorte de science sans pour autant arriver à beaucoup influer sur le comportement de dieux aussi « irresponsables » que les locataires de l'Olympe, tels que décrits par la mythologie grecque. Pourtant, cette religion est intéressante, avec l'importance qu'elle attache à l'idée de dualité — les moments-clé de l'année sont les solstices, marquant les changements de saison. Mais chacune des deux saisons est tout aussi indispensable à l'existence du tout, et de même le désordre carnavalesque est vital à la bonne santé de l'ordre établi. On peut relire le roman comme présentant une série de symétries, toutes en fin de compte acceptées, en se plaçant en retrait des jugements hâtifs. Le personnage — a priori antipathique — de Narrion est exemplaire dans ce contexte : avec Val, nous devons apprendre à le réévaluer constamment. Loin du dualisme (manichéisme, si vous préférez) affiché par beaucoup d'œuvres de fantasy classique, Goldstein distille dans ce livre une conception qui me paraît se rapprocher plutôt des concepts orientaux de yin et de yang.
N'allez pourtant pas croire que le roman prêche quoi que ce soit ! Il lui arrive, c'est vrai, d'expliquer avec un peu trop de détail les sentiments de Val, son protagoniste ; dans l'ensemble cependant, les différents fils de l'intrigue sont admirablement tressés 1, et le roman se lit sans trêve ni fatigue.
Notes :
1. Échappant au défaut de son précédent roman, défaut que Goldstein décrit — par inadvertance sans doute — à la page 40 de celui-ci : « There were too many plots here (...) ; the threads might come unraveled before the whole thing was done ».
Pascal J. THOMAS (lui écrire) Première parution : 1/1/1995 Yellow Submarine 113 Mise en ligne le : 10/3/2004
Valemar est un courtisan insouciant et sans substance de la cour d'Etrara, qui passe son temps à écrire des poèmes vides de sens en hommage à la beauté de quelque belle courtisane. Les intrigues de son cousin Narrion le conduisant à s'exiler loin de la cour pour la première fois de sa vie, il se réfugie quelque temps à Tobol An, un petit village de pêcheurs. Cette retraite forcée est l'occasion pour le jeune homme naïf de commencer à voir la vie autrement, car ses rencontres avec les villageois sont bien différentes de ce qu'il imaginait. Pendant son absence, les intrigues ont continué bon train à la cour. Le Roi a été empoisonné. Sa sœur s'est emparée du pouvoir et s'empresse de faire régner la terreur, allant jusqu'à déclencher une guerre avec le royaume voisin. Bien des désillusions attendent Valemar lors de son retour à Etrara.
Mais un autre danger sans doute bien plus grand menace le monde. Tous les ans, lors de la Fête du Dieu Ascendant, Scathiel, le Dieu de l'hiver, descend sur terre et cède sa place aux cieux à son frère Calladriel, le Dieu de l'été. Mais cette année, après la fête, les jours continuent de raccourcir : Calladriel n'est pas remonté dans les cieux, menaçant ainsi le monde d'un hiver éternel.
Lisa Goldstein nous offre ici une fantasy qui vaut surtout par son univers. La religion originale d'Etrara qui fait partie intégrante de la vie sociale, la magie liée à l'emploi des mots (les mages étant des poètes qui créent des invocations d'autant plus puissantes que leurs poèmes sont complexes), sont autant d'éléments réussis qui contribuent à créer un décor et une ambiance originale.
L'intrigue, quant à elle, est des plus classiques : elle épouse le parcours initiatique d'un jeune homme fondamentalement bon mais très naïf, appelé à s'élever très haut sur l'échelle sociale. Le parcours de Valemar lui fera comprendre que le pouvoir, ce n'est pas seulement s'élever pour prendre la place d'un autre, mais c'est avant tout assumer la très lourde responsabilité de son peuple, ce que les courtisans décadents d'Etrara ont oublié, trop préoccupés par leurs intrigues sans fin destinées à accroître leur pouvoir personnel.
Cependant, si la lecture du roman est agréable, il y manque tout de même un petit quelques chose. On ne s'attache guère aux personnages dont les motivations restent assez floues ou trop banales et l'histoire ne réserve guère de surprises, surtout dans la deuxième moitié du roman. Un récit sympathique donc, mais loin d'être inoubliable.