Une nouvelle mode fait fureur chez les jeunes branchés : le tatouage mobile ! Il s'agit de dessins exécutés avec une encre au pouvoir mystérieux, et qui se promènent sur la peau de leur propriétaire en un ballet incessant ! L'engouement se transforme en hystérie, tout le monde veut agrémenter son corps de dessins animés. Les tatoueurs travaillent désormais nuit et jour. Mais les choses se compliquent lorsqu'on découvre que les fameuses illustrations ont tendance à trouer la peau de ceux qui les portent.
Une enquête va montrer que l'encre en question provient en réalité des sécrétions épidermiques d'une peuplade de mutants qui l'utilise, elle, comme moyen de défense, à la façon des suintements urticants en usage chez certains batraciens. Dès lors s'engage une course contre la montre pour trouver un antidote, car, entre temps, la moitié de la population s'est fait tatouer pour obéir au diktat de la mode !
Ce roman fait plus ou moins suite au Puzzle de chair (où l'on se faisait greffer des membres) ; mais il s'agit cette fois de tatouages mobiles, obtenus grâce à une encre tirée des excrétions d'une sous-humanité mutante : plus que jamais Brussolo s'attaque au corps, cet ennemi de toujours à corrompre, à broyer, à laminer, ce terrain d'expériences où il se livre à toutes les turpitudes. Mais, alors que les précédents ouvrages de l'auteur étaient plutôt statiques, Brussolo semble cette fois découvrir la mobilité, une mobilité tous azimuts qui est le moteur (c'est bien le cas de dire) des Semeurs d'abîmes : les tatouages mobiles passent d'un corps à un autre et percent la chair de leurs porteurs, une sécrétion acide transmet de l'angoisse de peau à peau, les mutants Patchworks ne cessent de fuir, harcelés par les chasseurs d'enzyme, dans un paysage de boue liquide qui ne cesse lui-même de se transformer. Et mieux : « En ce moment, ces dieux aveugles errent à travers l'immensité du cosmos, incapables de retrouver leur chemin au milieu du labyrinthe des constellations. Géants infirmes, ils avancent à tâtons, se cognant aux planètes, se roussissant les cheveux à la flamme des soleils. De leurs doigts énormes, ils tâtent la surface des mondes, cherchant à identifier la terre où souffrent leurs enfants... »
Ce genre de mythologie, lâchée au cœur du récit comme par inadvertance, se marie cette fois parfaitement à la fuite haletante des héros guettés par toutes sortes de lèpres extérieures et intérieures. Brussolo est-il traqué à son tour par ses créations, ses créatures torturées ? On pourrait le croire à lire ce nouvel opus, que peuvent résumer ces quatre phrases : « L'ère du mouvant entamerait son règne. Que serait-elle ? Une étape initiatique peut-être ? Une épreuve dont l'humanité sortirait assagie ? » Car l'épreuve initiatique (au bout des fantasmes), c'est peut-être Brussolo lui-même qui l'entame. Pour en sortir assagi ? L'homme y gagnerait sans doute. Mais sûrement pas la littérature.