Le ROCHER
(Monaco, Monaco), coll. novella SF Date de parution : 24 novembre 2005 Dépôt légal : novembre 2005, Achevé d'imprimer : novembre 2005 Première édition Novella, 96 pages, catégorie / prix : 9,90 € ISBN : 2-268-05635-X Format : 11,5 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Deuxième moitié du XXIe siècle. Les relations n’ont pas été très cordiales entre les rives de l’Atlantique depuis que, plusieurs décennies auparavant, les États-Unis ont fermé le robinet, privant de pétrole une bonne partie de la planète l’année même où la quantité d’or noir extraite dans le monde a atteint son maximum — avant de se mettre à baisser inexorablement.
Avec la déplétion pétrolière sur le point de frapper à leur tour les États-Unis, c’est dans un contexte délicat que leur président, latino et catholique pratiquant, s’apprête à effectuer sa première visite officielle en Europe afin de renouer les liens avec l’Ancien Continent. Mais, alors que le terrorisme n’est plus qu’un mauvais souvenir en Europe, la rumeur d’un attentat commence à courir... Le président de la Fédération atlantique européenne, ce joyeux drille réputé pour ses nombreuses maîtresses, a-t-il bien choisi le spécialiste de la sécurité chargé de veiller sur son dévot homologue ?
Il arrive à Roland C. Wagner de délaisser de temps à autre l'immense projet constitué par son « Histoire d'un Futur » — où s'inscrit la série culte Les Futurs Mystères de Paris (L'Atalante), réputée pour son optimisme et sa bonne humeur. Sans renoncer à son humour habituel, il livre avec Pax Americana une réflexion acide sur le pétrole, le pouvoir et l'avenir de notre espèce.
La collection « Novella SF » des éditions du Rocher regroupe des auteurs pour le moins talentueux et prolifiques, comme Roland C. Wagner, Jean-Pierre Andrevon, Serge Quadruppani, ou encore Johan Heliot. Parmi les dernières publications de cette collection destinée aux inconditionnels du genre, les textes de Roland C. Wagner, Pax Americana, et de Johan Heliot, Führer prime time, peuvent être rapprochés.
Dans Pax Americana, les États-Unis, durant la seconde moitié du XXIe siècle, ont fait main basse sur les réserves pétrolières mondiales — une domination qui touche néanmoins à sa fin. Une déplétion du pétrole entraîne alors le président des « Zu'ssa », Ernesto LaVerda, un latino-catholique pratiquant, à décider de renouer les liens entre son continent et l'ancien.
Dans un autre registre, la nouvelle de Johan Heliot, Führer prime time, peint un talk show quasi-surréaliste qui met en scène divers personnages historiques aussi célèbres qu'opposés, tels Elvis Presley et Adolf Hitler, afin de les confronter en prime time et, bien entendu, en direct live, devant des milliards de spectateurs pour le compte de la chaîne de télé NEVERSTOP. Véritables avatars historiques, ces personnages célèbres du XXe siècle sont en fait des clones destinés à vivre quarante-huit heures tout au plus : le temps d'un show.
Dans les deux textes, un même thème : le commando terroriste. Avec Wagner, le président des « Zu'ssa » venant en Europe apporter la paix, est menacé d'être victime d'un attentat fomenté par quelques joyeux lurons, une vraie bande de bras cassés voulant résister à l'envahisseur américain. Du côté de Johan Heliot, lors de l'émission quotidienne, un commando terroriste, répondant au nom du « Front de libération des Avatars historiques », kidnappe le Führer.
Mais derrière la trame un brin burlesque, ne nous y trompons pas, les auteurs cachent de vraies questions croisées qui interrogent notre époque troublée. Johan Heliot s'intéresse au problème de la société de la surconsommation, aveuglée par sa demande quotidienne de divertissement et de sensations fortes et qui, dans cette fureur de la grande écoute, délaisse l'humain pour réduire les hommes à des êtres-marchandises aux cerveaux disponibles. Brossant un tableau, somme toute, convenu, il met en scène une télé-réalité à échelle mondiale, pour dénoncer l'uniformisation des hommes et de la culture. Une dénonciation virulente puisque le groupuscule terroriste s'en prend au représentant majeur du Mal : Adolf Hitler. En belle parabole de notre époque consumériste, ce personnage se pose dès lors comme le symbole de la déliquescence et de la fin annoncée d'une civilisation qui flirte allègrement avec le mal absolu, dans une fuite en avant de plus en plus inquiétante, nous dit Heliot, car la mascarade à laquelle elle se prête, délaisse, bien entendu, ce qui est au fondément même de sa cohésion et de sa pérennité : l'éthique et la déontologie.
De son côté, un Roland C. Wagner plus spinradien que jamais, dénonce l'hégémonie hors normes d'une Amérique prédatrice, d'une tyrannie molle qui règne sur le globe d'une main de fer, aidée de sa puissance économique, technologique, militaire, et médiatique. Il n'hésite pas à pasticher certains personnages, comme le président lui-même, offrant avec subtilité, des caricatures à la fois drôles et tendres, inventant des situations des plus absurdes, dénonçant la surpuissance des mass-media, et la force burlesque des Conférences officielles, tout en dénonçant à grand renfort de gags et de situations grotesques, la démence d'un monde au bord du gouffre.
Deux lectures donc, qui nous enchantent par leur drôlerie, leurs multiples rebondissements et leur rapidité phénoménale.
[Chronique commune à deux titres de la collection « novella SF » : Pax Americana de Roland C. Wagner et Führer prime time de Johan Heliot.]
Lancée en octobre 2004 avec deux titres signés Jérôme Leroy (Le Cadavre du jeune homme dans les fleurs rouges) et Jean-Pierre Andrevon (De Vagues et de brume), « Novella SF » propose l'ambitieux programme d'une collection poche de textes de science-fiction courts (et politiquement engagés), exclusivement francophones, sous des couvertures exclusivement laides et à un prix frôlant celui d'un roman grand format (pas loin de 13 euros pour certains titres !)... Si l'amateur de nouvelles que nous sommes ne peut que saluer une entreprise visant à défendre les textes courts, un tel programme et surtout, à un tel prix, ne lassait pas de surprendre (sans parler de la qualité des textes, auprès desquels une partie de la rédaction de Bifrost a trouvé sans peine son Razzy de la pire nouvelle francophone de l'année). Aussi était on en droit de s'interroger sur la pérennité de semblable projet. Voici pourtant que nous arrivent les numéros 5 et 6 de la susnommée collection, signés par deux auteurs forts appréciés par chez nous, Roland C. Wagner et Johan Heliot.
Wagner, qu'on ne présente plus, est un auteur toujours remarquable, drôle, doté d'un sens de la satire aigu, qualités qui lui font souvent gratter là ou ça fait mal, le tout avec une légèreté des plus déconcertantes. Enfin quand il ne cède pas à l'un de ses travers les plus récurrents : celui du strict minimum... Au regard de la taille de son texte, le plus court jamais publié en « Novella SF », on pouvait craindre le pire. Il réussit pourtant la prouesse, en 80 pages rondement menées mais en aucun cas expédiées, de nous dépeindre un futur proche assez crédible où, faute de pétrole, l'Europe a dû s'adapter, quitte à régresser, alors que les USA, campés sur des réserves qui s'amenuisent désespérément, se sont refermés sur eux-mêmes en refusant de voir l'évidence. Une évidence qui, quand commence le récit, promet bien de leur péter à la gueule. D'autant que, à l'heure de la première visite officielle du président américain sur le Vieux Continent depuis des lustres, un attentat se prépare... Gouailleur, rigolo, optimiste (c'est rare) et surtout dénué de cynisme (encore plus rare !), Wagner livre ici, à partir d'un sujet grave et pour le moins brûlant, un divertissement malin et sympathique, en prise avec notre quotidien et sans autre ambition que de divertir, même si on y trouvera sans conteste matière à réflexion.
Au final, « Novella SF » propose ici deux textes souvent très drôles qui, sous des dehors ou un ton légers, se révèlent engagés et politiquement colorés. Pas de chef-d'œuvre, non, mais rien que du très lisible et recommandable. Pour peu qu'on soit prêt à débourser 10 euros pour une heure de lecture et des livres sympathiques mais moches à crever.
Notes :
1. La partie de la chronique consacrée à Führer prime time n'est pas reproduite ici. [note de nooSFere]
ORG Première parution : 1/1/2006 dans Bifrost 41 Mise en ligne le : 9/4/2007
« ''Si tu veux la paix, prépare la guerre'', disait un vieil adage. Dans le cas de la Pax Americana, comme on l'avait baptisée, la paix était la guerre. Les deux concepts se retrouvaient si intimement mêlés, brouillés, confondus, qu'ils en perdaient tout sens. Car seule une guerre permanente permettait à cette ''paix'' d'exister — une guerre qui se dissimulait derrière une myriade d'opérations militaires ou paramilitaires plus ou moins déguisées, toujours avec le pétrole pour principal objectif. » (p.64)
Inutile de résumer l'intrigue : la quatrième de couverture le fait très bien. Dans cette novella de quelque quatre-vingt dix pages, Roland C. Wagner met en scène une anticipation proche dramatiquement vraisemblable, où les Zu'ssa se sont accaparés les rares ressources énergétiques restantes mais foncent tête baissée dans le mur, où l'Europe se remet doucement de la crise en développant des énergies alternatives et où les chinois comptent les points tout en explorant le système solaire... Stigmatisant l'Amérique protestante et pudibonde, Wagner impose sa vision comme une évidence, sans donner l'impression de forcer le trait, à travers un récit en forme de thriller dont le dénouement-surprise, très humoristique, peut se deviner à l'avance si l'on connaît un peu la manière de l'auteur.
Un texte simple mais efficace, brossant avec aisance cette peinture lucide d'un futur probable, mais aussi et surtout du présent — car la Pax Americana est déjà en marche depuis déjà un bon nombre d'années. Un texte grave où l'humour et, en fin de compte, l'optimisme de l'auteur ne se démentent pourtant pas. Bien qu'un peu courte pour que le récit atteigne le niveau des meilleurs romans de l'auteur, cette novella futée s'avère en tout cas bien agréable à lire.