[...] L'auditoire était haletant. Personne ne songeait à interrompre l'orateur — pas même à l'applaudir. Tous étaient subjugués par cette idée à la fois si ingénieuse et si simple : modifier l'axe sur lequel se meut le sphéroïde terrestre.
Quant aux délégués européens, ils étaient simplement abasourdis, aplatis, annihilés, et ils restaient bouche close, au dernier degré de l'ahurissement. [...] (Extrait)
Cet ouvrage est exceptionnel à plus d'un titre. Dans cette histoire fantastique où nous retrouvons les héros de De la Terre à la Lune et d'Autour de la Lune, Jules Verne dénonce l'impérialisme, le colonialisme et la puissance d'un complexe militaro-industriel, en s'alarmant des catastrophes écologiques engendrées par les activités humaines.
Dominique Bromberger est diplômé en droit public, diplômé de l'IEP de Paris, écrivain et chroniqueur à France Inter. Il nous montre dans sa préface combien ce roman, écrit par Jules Verne à la fin du XIXe siècle, connaît une nouvelle actualité en ce début du XXIe siècle.
Publié en 1889, Sans dessus dessous,qui fait revivre 20 ans après les personnages du cycle de la Lune (Barbicane et autres membres du « Gun Club »), n'eut aucun succès du vivant de son auteur ; oublié, le livre n'est même pas recensé par le Livre de Poche... Cela s'explique : Jules Verne s'y auto parodie allègrement, détournant systématiquement les constantes de son œuvre. Loin des « Voyages Extraordinaires », l'aventure ici reste confinée à des bureaux et salles de conférences ; loin du succès, elle se termine par un échec risible ; loin d'être des héros, les personnages sont de dangereux irresponsables constamment tournés en dérision. Surtout, l'inventeur de la science-fiction capitaliste démythifie les motivations de ses créatures, qui achètent le pôle nord afin d'en exploiter d'hypothétiques gisements de houille, et veulent pour cela faire fondre les glaces en faisant basculer la Terre sur son axe (« Ah ! s'il n'y avait eu à disparaître sous les nouvelles mers que des Samoyèdes ou des Lapons de Sibérie, des Fuéggiens, des Patagons, des Tartares même, des Chinois, des Japonais ou quelques Argentins, peut-être les Etats civilisés auraient-ils accepté ce sacrifice ? »). Enfin, l'auteur se montre tout au long du récit d'une grande drôlerie, qui va du clin d'œil (CH. IV : « Dans lequel réapparaissent de vieilles connaissances de nos jeunes lecteurs ») à l'incongruité (« On aurait entendu marcher une fourmi, nager une ablette, voler un papillon, ramper un vermisseau, remuer un microbe ».) de la satire (« Mais il n'y a plus d'Ile déserte de nos jours ; les Anglais ont tout pris ») au surréalisme peut-être involontaire (« En réalité, la Terre doit être considérée comme une masse de fer plus ou moins carburé à l'état de fluidité ignée... »). Mais toutes ces tendances sont bien mieux analysées par François Raymond dans sa pertinente postface. Voilà en tout cas une exhumation qui réjouira non seulement les fanatiques de tonton Verne, mais aussi la plus grande masse des lecteurs...