THORNE SMITH, l'auteur de Ma femme est une sorcière (adapté de l'américain par Yves Maurion) est également l'écrivain du Couple invisible, une des plus fameuses comédies cinématographiques américaines. Interrogé sur sa vie privée, il se retranche derrière son œuvre et déclare :

     « Je reconnais sans sourciller que je suis un des plus grands écrivains réalistes américains. Tout comme la vie, mes histoires sont sans raison d'être et vont n'importe où... Mes livres sont aussi aveuglément irraisonnables que la nature elle-même. Ils n'ont pas plus de justification qu'une montagne excessivement escarpée ou un volcan colérique. A l'opposé des grands idéalistes et des romanciers qui insistent pour que les récits aient une exposition, un nœud et un dénouement, mes romans ne possèdent aucune de ces parties. Vous pouvez les ouvrir à n'importe quelle page. Cela n'a aucune importance. Vous serez également mystifié, sinon scandalisé. Ne le suis-je pas moi-même ? »

     Qui ne souhaiterait être aimé d'une sorcière aussi passionnée, aussi désirable que Jennifer ?

     Pour puritain et végétarien qu'il fût, T. Wallace Wooly junior, l'un des citoyens les plus en vue et les plus respectés de Warburton, calme petite ville américaine du Middle-West, ne pouvait être insensible au choix de cette fille du démon, soudain surgie des flammes pour lui tomber dans les bras.

     Dès lors, l'existence paisible de la tranquille communauté devait être bouleversée par les excentricités de la nouvelle Mrs Wooly, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle avait le diable au corps.

     La plupart des amateurs de cinéma ont vu le film étourdissant que René Clair a tiré du présent ouvrage, avec Veronica Lake et Frédéric March.

     T. Wallace Wooly Jr. est un richissime homme d'affaires aussi niais que pétri d'autosatisfaction. Après avoir sauvé une jeune femme nue d'un incendie, il tombe sous la coupe de celle-ci et l'épouse, avant de s'apercevoir de son étrange comportement...

     Pour ceux qui ont grandi avec Ma sorcière bien-aimée, difficile de résister à la tentation de lire ce roman qui serait à l'origine de la série. En réalité, les producteurs de cette dernière ont nié s'être inspiré de ce récit ou de son adaptation cinématographique par René Clair — I married a witch, 1942, avec Veronica Lake et Fredric March. On comprend pourquoi à la lecture : si l'argument paraît identique, le traitement en est tout de même assez différent.

     En effet, dans le roman, Jennifer se montre une sorcière plutôt redoutable et sulfureuse, qui pratique la magie noire sans remords. Volontiers érotique, elle offre finalement assez peu de points communs avec la charmante Samantha. De même, même s'ils sont tous deux assez benêts, T. Wallace Wooly Jr. et Darrin/Jean-Pierre sont loin d'avoir le même caractère.

     Certes, l'humour demeure très présent dans le roman de Smith. Par exemple, le mari abstinent et végétarien est contraint de s'enivrer en permanence pour échapper à l'un des sorts jetés par sa femme, ce qui n'est pas sans provoquer quelques quiproquos. Il s'agit cependant d'un humour plus ouvertement satirique et sarcastique que celui de la gentille comédie familiale que nous connaissons.

     En tout cas, voilà une heureuse réédition, qui nous permet de redécouvrir « l'un des représentants les plus remarquables et les plus méconnus en France de la littérature comique américaine », dont l'oeuvre littéraire « ne trouve de véritable équivalent que dans les comédies survoltées qu'Hollywood produisit entre les deux guerres. » (p.247) Pas un chef d'œuvre, sans doute, mais un divertissement léger et de qualité.