4. Depuis 1947, simulation de combat exécutée à des fins de défense nationale par les forces terrestres d'intervention rapide de notre Nation. (Nom officiel : « Expérimentation militaire du programme 68 ».) Chaque année, cinquante classes de 3e choisies au hasard parmi l'ensemble des collèges du pays y participent. Le déroulement de l'expérience est très simple : laisser se battre entre eux les élèves d'une classe jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un seul survivant, l'objectif étant de recueillir diverses données statistiques sur le temps mis par le champion à exterminer le reste de la classe ; le Programme constitue à ce titre un élément essentiel de notre souveraineté nationale et de la politique de défense de notre pays. Le survivant de chaque classe (appelé le/la champion/ne) gagne le droit de vivre aux frais de l'Etat jusqu'à sa mort.
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« Battle Royale évoque un riff de guitare follement divertissant, mélange improbable du jeu Survivor et d'un combat de catch. A moins que Battle Royale ne soit juste complètement fou. »
Stephen King
Version contemporaine survitaminée de Sa Majesté des Mouches de William Golding, Battle Royale a défrayé la chronique japonaise à sa publication, avant de devenir un des plus grands best-sellers de l'édition nippone. Cette métaphore cruelle et satirique d'un pays réduit à dévorer ses propres enfants qu'il ne comprend plus a fait l'objet d'une adaptation cinématographique en 2000 et d'une déclinaison manga à partir de 2003.
Né en 1969 à proximité d'Osaka, Koushoun Takami a suivi des études de littérature avant d'exercer le métier de journaliste de 1961 à 1996, couvrant des domaines aussi variés que la politique, les faits divers et l'économie. Il se consacre depuis à l'écriture, travaillant aujourd'hui à son second roman après avoir rédigé le scénario de Blitz Royale, manga faisant suite à son Battle Royale.
Critiques
[Chronique commune aux trois premiers titres de la collection « Interstices ». Les passages détaillant les deux autres titres ne sont pas reproduits ici.]
Louable initiative des éditions Calmann-Lévy de lancer en cette rentrée littéraire 2006 une nouvelle collection entièrement dédiée aux désormais célèbres transfictions, si bien décrites par Francis Berthelot. Pilotée par Sébastien Guillot (qui dirige également une collection de fantasy chez le même éditeur), « Interstices »a le mérite d'afficher clairement la couleur : des textes parfaitement intégrés à la très large famille des littératures de l'imaginaire, mais précisément vendus au rayon mainstream. Les fans de S-F y trouveront évidemment leur compte et un lectorat tout neuf pourra par là même s'initier à un type de littérature qui, en s'émancipant des schémas narratifs traditionnels, s'impose d'emblée comme un courant cohérent, novateur et enthousiasmant. Trois ouvrages ont donc débarqué chez les libraires ces jours-ci : l'inconnu Sean Stewart et son Oiseau moqueurdécidément très convaincant, le cultissime Koshun Takami et son célèbre roman Battle Royale (best-seller au Japon, et dont on a tiré le film éponyme), sans oublier le très attendu Jeff VanderMeer avec la non moins attendue Cité des saints et des fous. Couvertures sobres et décalées (à des années-lumière des horreurs criardes si courantes en S-F « standard »), textes évidemment inclassables (c'est la marque de fabrique de la collection), le pari est risqué, certes, mais revigorant et rassurant. A l'heure où les éditions FMR et Panama allient leur force pour rééditer la célébrissime « Bibliothèque de Babel » (cf. notre « focus » dans le Bifrost n°43) chapeautée à l'époque par Borges, « Interstices » vient occuper un espace éditorial que peinait à combler « Lot 49 »(dirigée par Claro, dont on a pu apprécier le travail de traducteur sur un roman aussi difficile que La Maison des feuillesde Danielevski), jusqu'ici seule sur le terrain de la littérature « bizarre », en tout cas en tant que collection.
Après lecture, force est de constater que la collection réussit son pari et démarre d'entrée de jeu en frappant très fort : deux textes exceptionnels (Stewart et VanderMeer) et un moyen (Takami), mais dont le positionnement et la lisibilité lui assurent en principe un grand succès public, consolidant au passage « Interstices » en la rendant (on lui souhaite de tout coeur !) immédiatement rentable. Reste à espérer que la collection continuera sur le même registre, mais les quelques noms qui filtrent peuvent nous rassurer : Christopher Moore, par exemple, pour n'en citer qu'un.
Commençons par le moins bon : avec Battle royale, Koshun Takami réussit un joli coup. Foutre un gros (très gros, et plutôt bien placé) poing dans la gueule de son pays. Passé l'effet de surprise et le choc, il ne reste qu'un hématome et pas grand-chose derrière. C'est dommage, car l'idée est formidable, le traitement impeccable et les tenants et aboutissants difficiles à digérer. Hélas, le roman pêche par sa longueur excessive et son scénario de série B parfois abracadabrant (la fin, notamment, très différente du film). Résumons : dans un Japon uchronique, la République de Grande Asie, qui a dû remporter la Seconde Guerre mondiale au sein de l'Axe, un fou fascisant règne d'une main de fer sur un pays apathique. Tous les ans, une classe de troisième est sélectionnée, arbitrairement déportée dans un zone soigneusement choisie et contrainte à participer à Battle Royale. Un jeu tout à fait désagréable, puisqu'il s'agit ni plus ni moins de s'entre-tuer, l'unique vainqueur gagnant au final le droit de finir ses jours aux frais de l'état. Au menu de toutes ces réjouissances, armes différentes pour chaque élève (du couteau de cuisine au pistolet mitrailleur, en passant par la capsule de poison ou l'arbalète), zones interdites et, cerise sur la gâteau, collier métallique explosif au cas où un inconscient ne respecterait par les règles implacables de l'expérience. Le scénario a beau être ridicule et tout sauf crédible, Koshun Takami déroule son histoire avec beaucoup d'habileté, l'idée de base étant de donner corps et âmes aux personnages en leur consacrant à chaque fois un chapitre entier. Il en résulte une galerie d'anti-héros adolescents terrifiés ou terrifiants, mais tous attachants et dont les lecteurs apprécient assez mal la mort toujours sanglante et/ou particulièrement violente. Tout ça ne manque pas d'un certain comique, mais le côté linéaire et répétitif lasse au bout des premières cent pages, et on finit par suivre l'histoire plus par habitude que par réelle envie. Reste que le propos du livre est assez dérangeant pour la culture japonaise, ce qui explique en partie son phénoménal succès là-bas. Dans une société aussi permissive que rigide (un paradoxe que bien des Occidentaux ont du mal à comprendre), l'idée d'une jeunesse sacrifiée qui n'hésite somme toute pas beaucoup à massacrer joyeusement son prochain pour survivre rappelle un peu trop le monde du travail pour passer comme une lettre à la poste. Bilan, une bonne idée, un bon moment, mais rien de renversant, un peu à l'image du film plutôt médiocre qu'on en a hâtivement tiré.
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Avec ces trois titres, « Interstices » sort donc joyeusement des sentiers battus et s'aventure sur un terrain évidemment miné, mais passionnant. Une aventure éditoriale que l'on espère longue et qui donnera peut-être quelques idées aux concurrents. Au final, c'est le lecteur qui gagne, et c'est pas si courant...