Le début ressemble à un drame bourgeois d'un autre temps. Le médecin André Barthélémy rompt ses fiançailles avec Anne Vargelonne lorsqu'il apprend, alors même que leurs relations ont toujours été chastes, qu'elle est enceinte. Elle affirme pourtant ne l'avoir jamais trompé. Il épouse à la place une sportive qui lui donne une fille, Françoise, laquelle a à peine connu sa mère morte dans un accident de montagne. C'est pourquoi elle s'en invente une, plus belle, à partir du portrait d'Anne dont elle a trouvé une photo. En effet, Anne, qui a disparu de la vie du médecin, ressemblait vraiment à un ange de Fra Angelico, improbables proportions anatomiques comprises.
Qu'est-elle devenue ? Elle a élevé seule sa fille, Florence, encore plus belle, d'une beauté presque irréelle. À la mort de sa mère, Florence se présente chez le médecin, qu'elle croit être son père, eu égard au passé de la mère. Et c'est Françoise, subjuguée, qui convainc son père de considérer Florence comme sa fille ! On a peine à y croire.
Cette contradiction finira toutefois par se voir plus ou moins résolue tandis que l'ami d'enfance de Françoise, à présent détective, tente de savoir qui est réellement Florence. Son enquête débouche sur une étonnante révélation, à savoir la présence de créatures venues d'ailleurs au sein de la société, des artistes dans l'atelier d'un peintre, Christian Silverberg (un nom pour le moins éloquent), dont la beauté et le charme proprement fantastiques inquiètent autant que leur bienveillance et leur propriétés qui renvoient aux pires légendes fantastiques et qui tente de s'unir à l'humanité.
C'est un fascinant récit que celui-ci, tout en demi teintes et en propos voilés, qui dévoile progressivement une réalité entre fantastique et science-fiction. Voici une forme de vampirisme qui, pour inoffensive qu'elle soit, dans sa volonté d'unir sa destinée avec celle des humains, rappelle Les Coucous de Midwich de John Wyndham, devenu au cinéma Le Village des damnés, roman d'ailleurs évoqué dans le livre, sans cependant reprendre son intrigue. Le traitement même du récit, qui évite une chronologie linéaire, empêche de jouer la carte du suspense horrifique : chaque chapitre s'ouvre sur une situation nouvelle avant de résumer les faits survenus dans l'intervalle. De même, la conclusion déjoue les attentes du lecteur et font de cette œuvre atypique un récit envoûtant, dans un registre qui privilégie l'ambiguïté et les ambiances en demi-teinte. Si le contexte a vieilli (on a peine à croire qu'Anne, désargentée, a une domestique qui reste gracieusement à son service), le récit n'a rien perdu de son charme.
Dans sa postface, André-François Ruaud révèle les circonstances dans lesquelles cette œuvre de Christine Renard, décédée en 1979 a été retrouvée par Richard Comballot. Une édition pour la jeunesse, La Nuit des Lumineux, était parue en 1980, amputée des passages adultes du roman par son mari Claude-François Cheinisse, Christine Renard n'ayant pas eu le temps de procéder à cette adaptation. On croyait perdu le manuscrit original, jusqu'à cette heureuse redécouverte, qui rappelle que Christine Renard était l'une des voix majeures de la science-fiction française. Lumineuse, assurément, tout en grâce et poésie.
Claude ECKEN (lui écrire)
Première parution : 6/10/2024 nooSFere