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Un Souvenir nommé empire

Arkady MARTINE

Titre original : A Memory Called Empire, 2019
Première parution : New-York, USA : Tor Books, 26 mars 2019   ISFDB
Cycle : Teixcalaan vol. 1 

Traduction de Gilles GOULLET
Illustration de Jaime JONES

J'AI LU (Paris, France), coll. Nouveaux Millénaires précédent dans la collection suivant dans la collection
Date de parution : 3 mars 2021
Dépôt légal : mars 2021, Achevé d'imprimer : 3 février 2021
Première édition
Roman, 512 pages, catégorie / prix : 23 €
ISBN : 978-2-290-23629-1
Format : 13,0 x 20,0 cm
Genre : Science-Fiction


Quatrième de couverture

Yskandr, l’ambassadeur de Lsel en poste dans la capitale de l’empire teixcalaanli, est mort. Sa remplaçante, la jeune Mahit Dzmare, part avec un handicap : la puce mémorielle censée lui fournir tous les souvenirs de son prédécesseur est défectueuse, la laissant démunie face à une société complexe dont elle a du mal à appréhender les codes. Elle peut cependant compter sur l’aide de Trois Posidonie, sa chargée de mission pleine de ressources, pour la guider parmi les intrigues et les chausse-trappes de la politique teixcalaanlie. Mais plusieurs questions demeurent : qui a tué Yksander, et pourquoi ? Risque-t-elle le même sort ?

Née en 1985, Arkady Martine - de son vrai nom AnnaLinden Weller - est chercheuse et docteure en histoire arménienne et byzantine. Un souvenir nommé empire, couronné par ie prix Hugo en 2020, est son premier roman de science-fiction. Il sera suivi par Une désolation nommée paix, à paraître dans la même collection en octobre 2021.

Critiques

Suite au décès de son ambassadeur, à Teixcalaan, les dirigeants de Lsel, une station spatiale minière, nomment la jeune Mahit Dzmare en remplacement. Munie de l'imago de son prédécesseur, Mahit s'envole vers la cité-empire... Ainsi commence le roman d'Arkady Martine.

Mahit débarque dans la capitale de Teixcalaan, en pleine ébullition : les prétendants ont commencé la guerre de succession. Des attentats ébranlent la capitale. Mahit échappe à la mort lors d'un rendez-vous. Des manifestations réclament le trône pour un jeune général, Un Éclair, qui ne peut conquérir l'empire que de deux manières : soit grâce une campagne militaire qui annexerait Lsel dans l'empire et qui lui vaudrait du prestige, soit en prenant la capitale avec ses légions... La mission de Mahit consiste donc à sauver l'indépendance de Lsel.

Accompagnée de Trois Posidonie, une haute fonctionnaire à son service, Mahit découvre Teixcalaan. En parallèle, elle apprend à vivre avec son imago, une puce-mémoire qui lui a été greffée avant son départ avec l'image mentale d'Yskandr, son prédécesseur. Or elle découvre que cette technologie singulière, l'imago, soulève une curiosité malsaine de la part des Teixcalaanli. À Teixcalaan, Mahit est une barbare (une étrangère, en fait, avec toute les différences propres à sa culture). Elle nourrit une admiration franche devant la culture Teixcalaanlitzim : tous les Teixcalaanli sont poètes, et s'expriment en vers pour faire connaître leurs opinions et sentiments tandis que d'autres complotent en silence. Elle échappe à un attentat grâce à Trois Posidonie. Son Imago qui soulève tant de convoitises semble être la cause des tentatives de meurtre. Cette Imago, l'esprit d'Yskandr, tombe soudain en panne (a-t-elle été sabotée ? Ou est-ce la vue de son propre cadavre qui l'a déréglée ?),  laissant Mahit seule et sans conseil dans ce monde dont elle ignore les règles...

Parfois, la Science-Fiction se présente comme un jeu, un labyrinthe fictionnel, où le but est d'apprendre le fonctionnement d'une civilisation, ses us, ses coutumes et cette étonnante culture Teixcalannlitzim où on s'exprime en vers, par exemple, pour déclarer ses pensées, à travers le roman et son déroulement désordonné. Ainsi lorsqu'elle fait connaissance de la ministre Dix-Neuf Herminette, surgit dans son esprit cette pensée venue probablement d'Yskandr :

Elle capte toute la lumière de la pièce et la courbe autour d'elle.

Ce genre de lecture, profondément ludique, poétique, est aussi un intéressant rappel historique d'un autre empire : Rome, où les empereurs adoptaient celui de leurs proches qu'ils estimaient le plus compétent pour leur succéder. Une dynastie s'éteignait quand un général renversait le successeur désigné. Ce système politique violent, singulier, peu imité depuis (sinon, peut-être par les partis communistes Soviétique et Chinois), est un des éléments qui ont fait la longévité de l'Empire romain.

Quand un auteur américain désire parler de l'Amérique d'aujourd'hui, il est courant qu'il compare les U.S.A. à l'Empire romain, et l'on peut supposer que ce récit ne déroge pas à cette règle, d'autant plus que, rupture avec la Rome antique, Teixcalaan considère les hommes et les femmes sur un pied d'égalité. Mahit et Trois Posidonie entretiennent une relation mélangeant attirance sexuelle et confluence d'intérêts communs : pour Mahit qui a rêvé de devenir citoyenne d'empire, la maîtrise de la versification de Trois Posidonie ajoute à sa fascination. Si on ajoute une troisième femme, la ministre Dix-Neuf Herminette, grande feudataire au service de l'empire, tout indique que cette société applique des codes des genres plus proches des nôtres que de ceux de la Rome antique.

Dans ce roman captivant, la Science-Fiction entrelace l'évocation historique, le présent, l'évolution des mœurs, et l'avenir des réseaux, car chaque Teixcalaanli possède un lien nuage, qui se fixe devant un œil, et celui-ci se vit dans une double virtualité : le réel, Ici et maintenant, se conjugue au virtuel, là où circulent les nouvelles, les incises, les épigrammes et les poèmes dont je me permets de citer celui-ci :

Entre les douces mains d'une enfant
Même une carte des étoiles ne peut résister
À des forces qui tirent et fendent. La gravité persiste.
La continuité persiste : des doigts lisses parcourent des voies orbitales
Mais je me noie
Dans un océan de fleurs : dans l'écume violette, dans le brouillard de la guerre.

Le roman vous donnera le contexte et la signification de cet appel au secours, sous réserve d'une immersion sans réserve, ce que je ne saurais que conseiller. Pour ludique qu'en soit la lecture, la fiction possède la puissance de nous faire sourire et d'envisager des situations que nos catégories nous empêcheraient de concevoir et penser librement. Le sourire et la séduction d'une héroïne — parfois – nous en apprennent plus sur nous-même et le monde qui nous entoure...

 

Bernard HENNINGER (site web)
Première parution : 29/4/2021 nooSFere


    Mahit Dzmare est la nouvelle ambassadrice de la petite station minière indépendante de Lsel auprès de l’empire de Teixcalaan. Nouvelle ambassadrice dans la capitale dans la mesure où Yskandr, son prédécesseur, est décédé. Fraîchement nommée, elle n’a guère d’expérience, hormis sa connaissance de et son attrait pour la culture teixcalaanli, mais l’imago d’Yskandr, à savoir ses souvenirs, et ceux de la lignée qui l’a précédé, implantés dans son cerveau, devraient s’avérer d’une grande aide. Malheureusement pour Mahit, ils datent de quinze ans (Yskandr ne les ayant pas enregistrés depuis), aussi notre héroïne ne peut donc bénéficier de toute la maîtrise des codes de Teixcalaan acquise par Yskandr. Regrettable, car s’il existe une société codifiée, c’est bien celle de l’empire, entre hiérarchie aristocratique figée, fonctionnaires de ministères omnipotents, empereur vieillissant ayant officiellement promu plusieurs successeurs potentiels alors que d’autres œuvrent plus ou moins ouvertement pour le destituer. Mahit, qui se voit régulièrement traitée de barbare dans ce contexte assez xénophobe, va en outre être confrontée dès son arrivée à des problèmes à répétition : déterminer la cause réelle de la mort d’Yskandr (accident ou meurtre ?), comprendre pourquoi elle fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinats, et faire le tri entre alliés et ennemis. Avec en prime la défaillance brutale de l’imago d’Yskandr, qui la laisse seule alors que tout laisse à croire que son prédécesseur évoluait au cœur de luttes de pouvoir pour le moins aigües.

    Prix Hugo 2020, ce roman trouve son principal intérêt dans la société décrite par Arkady Martine. Sous son véritable patronyme (Anna Linden Weller), l’autrice est chercheuse et docteure en histoire byzantine ; des connaissances dont elle s’est visiblement inspirée pour construire un univers crédible empruntant à différentes cultures – byzantine, donc, mais aussi précolombienne, notamment dans le vocabulaire (Teixcalaan), et sans doute aussi un soupçon de Chine impériale. Ici, l’empire n’a de cesse de vouloir s’étendre, tel un ogre dévorant tout sur son passage. La station de Mahit, Lsel, fait du reste partie de la fièvre colonialiste de Teixcalaan ; en effet, même si le concept de personne augmentée est plus ou moins tabou, certains ont eu vent de l’existence des imagos et envisagent avec gourmandise cette possibilité d’accéder à une sorte d’immortalité. Une faim insatiable qui se révèle un terreau fertile pour les ambitions personnelles  : Teixcalaan est à un tournant de son histoire, et l’arrivée de Mahit va en partie cristalliser ce basculement. L’autre spécifité de l’empire, c’est son rapport à la langue : la poésie y est élevée au rang d’art ultime, un art qui, au-delà de ses qualités purement esthétiques, est également le moyen favori pour faire passer des messages, notamment politiques, qui se doivent de ne pas être trop évidents pour l’auditoire. Ainsi, toute personne souhaitant gravir l’ascenseur social ne peut ignorer l’art de la versification, le bon équilibre entre perfection formelle et subtilité du propos. En somme, un autre versant de la codification de cette société corsetée.

    Non exempt de rebondissements, et parfois d’un brin d’humour, Un souvenir nommé empire donne sa pleine mesure à travers des dialogues riches de sous-entendus qui aident peu à peu Mahit à démêler traîtrises et manipulations. Une approche parfois un peu (beaucoup ?) verbeuse, mais aussi une façon intéressante d’aborder cette description du choc entre deux cultures, avec au milieu un personnage complexe, celui de Mahit, accrochée à son identité de « barbare », mais est également attirée par la culture Teixcalaan ; chacun des personnages qu’elle croisera sera ainsi une nouvelle illustration du rapport à l’autre, qu’il soit bienveillant, indifférent, manipulateur ou carrément hostile. Quelque part entre Ursula Le Guin (pour la description quasi-ethnologique d’une société) et Ann Leckie (pour la complexité des relations humaines), Arkady Martine a ainsi trouvé sa place, et on lira avec plaisir ses prochaines œuvres, à commencer par la suite de ce diptyque, Une désolation nommée paix, qui paraîtra cet automne.

Bruno PARA (lui écrire)
Première parution : 1/4/2021 dans Bifrost 102
Mise en ligne le : 4/10/2024

Prix obtenus
Hugo, Roman, 2020


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