Moi, Zeus, roi des dieux, dieu des rois, je vais vous conter mon histoire...

     A ceux qui pensent que vivre pour un dieu est aisé, je dis : « détrompez-vous. » Aux mortels qui croient que notre vie n’est que volupté et délices, je dis : « apprenez votre erreur. »

     Ne confondez pas ce que vous vous voudriez être avec ce que nous sommes.

     Ayant échappé de justesse à l’infanticide, à cause d’une prophétie, j’ai grandi seul, caché sur une île. Peu à peu, je suis devenu homme et guidé par ma grand-mère Gaïa, j’ai concocté un plan afin de renverser mon père, Cronos, maître de l’Olympe. Seul, j’ai appris la vie, l’amour, la mort et la colère. J’ai levé une armée, j’ai réveillé les géants, j’ai libéré mes frères et mes sœurs. J’ai accompli mon destin...

     Vous qui avez oublié, il est temps que je vous rappelle ce que nous avons vécu, alors que l’homme n’était encore qu’un enfant.

     Moi, Zeus, j’ai fait un long somme... je suis à présent réveillé.

     Maurice Druon est né le 23 avril 1918, à Paris. Neveu de Joseph Kessel, il commence à publier dès l’âge de dix-huit ans et reçoit le prix Goncourt en 1948 pour Les Grandes Familles. Membre de l’Académie française depuis 1966, il est l’auteur d’une cinquantaine d’ouvrages, œuvre majeure qui compte aussi bien Les Rois maudits que Tistou les pouces verts.

     Après un long somme de deux mille ans, Zeus s'éveille et contemple notre monde moderne. Constatant que les Mortels ont en partie oublié ce que furent les dieux de l'Olympe, il se met à raconter son histoire...

     Les éditions Bragelonne nous ménagent régulièrement des surprises dans leur catalogue : quelques auteurs inclassables — Graham Joyce, James Lovegrove... — , quelques biographies ou mémoires — notamment le C'est dans la poche de Sadoul — ou même quelques essais sans doute peu vendeurs — tels les Colloques de Cerisy...

     Cette fois, l'éditeur nous offre carrément un académicien ! Maurice Druon, LE Maurice Druon, celui des Rois maudits qui ont passionné la France notamment à travers leurs deux adaptations télévisuelles.

     Parues en deux tomes en 1963 et 1967, ces Mémoires de Zeus sont sans doute inconnues de la grande majorité des lecteurs de Fantasy. A tort, car voilà bien un chef-d'œuvre de la Fantasy française.

     Un chef d'œuvre, d'abord, parce qu'écrite dans une langue magnifique, précise et charmante, d'une fluidité exemplaire. Un style en apparence facile, d'une parfaite lisibilité, sans préciosité ni affectation, mais simplement harmonieux, sans jamais une note discordante ni superflue.

     Un chef d'œuvre, ensuite, parce que l'écriture de ces « simples » mémoires — où l'on retrouve la quasi totalité des épisodes et personnages de la Mythologie — relève véritablement de l'exploit. Druon a réussi le pari impossible de réunir les récits désordonnés, fragmentaires et volontiers contradictoires qui composent la Mythologie en une histoire unique, logique et chronologiquement linéaire. Chaque péripétie y trouve sa place dans un tout cohérent, dans une vision globale et ordonnée de la Mythologie.

     Un chef d'œuvre, enfin, parce que non content de réécrire les mythes, Druon s'amuse à glisser de malicieux commentaires, tantôt sociologiques, tantôt philosophiques, volontiers humoristiques. Il fait de chaque épisode une sorte de fable d'où il tire un parallèle avec notre époque — comparant par exemple la puissance de calcul des cinquante cerveaux interconnectés des Hécatonchires à celle de nos ordinateurs ! — voire une morale astucieuse ou espiègle — toujours intéressante même lorsqu'on ne partage pas le point de vue de l'auteur.

     Bref, Les Mémoires de Zeus c'est la Mythologie comme vous ne l'avez jamais lue et comme vous devez impérativement la lire. Une œuvre majeure, un tour de force subtil et élégant, qui mérite tous les éloges. On devrait en rendre la lecture obligatoire à tous les amateurs de Fantasy, à commencer par les auteurs !