David MARUSEK Titre original : We Were Out of Our Minds with Joy, 1995 Première parution : Asimov's Science Fiction, Novembre 1995ISFDB Traduction de Patrick MERCADAL Illustration de Aurélien POLICE
BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France), coll. Une Heure-Lumière n° 21 Date de parution : 29 août 2019 Dépôt légal : août 2019, Achevé d'imprimer : août 2019 Réédition Novella, 128 pages, catégorie / prix : 9,90 € ISBN : 978-2-84344-954-3 Format : 12,0 x 17,9 cm✅ Genre : Science-Fiction
Existe aussi en numérique, aux formats ePub (ISBN : 978-2-84344-884-3) et PDF (ISBN : 978-2-84344-883-6) au prix de 4,99 €.
« Le 30 mars 2092, le ministère de la Santé et des Affaires sociales nous délivra un permis, à Eleanor et moi. Le sous-secrétaire d’État à la Population nous fit part de la nouvelle avec les félicitations officielles. Nous étions abasourdis par tant de bonne fortune. Le sous-secrétaire nous invita à contacter l’Orphelinat National. Dans un tiroir se trouvait un bébé à notre nom. Nous étions fous de joie. »
En cette fin de siècle surpeuplée, quand les traitements anti-vieillissements rendent chaque individu virtuellement immortel, avoir un enfant relève du luxe le plus extrême. Sam Harger, artiste spécialisé en design intérieur, ne s’attendait pas à tant de bonne fortune lorsqu’il rencontra l’ambitieuse Eleanor Starke. Couler le parfait amour, puis obtenir l’autorisation d’avoir un bébé… une chance inouïe pour le couple, qui ne cache pas son bonheur. Mais dans ce monde surveillé à l’extrême, dominé par l’informatique et les intelligences artificielles, est-on jamais à l’abri des bugs ?
« L’univers mis en scène est tout à fait fascinant, complexe dans son
fonctionnement mais décrit avec une acuité qui force le respect...
Un récit absolument extraordinaire. »
PHILIPPE BOULIER - BIFROST
L’Enfance attribuée a été nommé aux prix Hugo et Sturgeon, ainsi qu’au Grand Prix de l’Imaginaire
Critiques
L’Enfance attribuéea une place à part dans la collection « Une heure-lumière » : celle du premier texte réédité plutôt qu’inédit, ce dernier ayant été initialement publié il y a vingt ans par Le Bélial’. Vu sa qualité, on ne peut que se réjouir du fait que l’éditeur le remette à la disposition du plus grand nombre, dans une traduction révisée qui plus est.
Il s’ouvre sur une bonne nouvelle pour un couple de 2092, autorisé à retro-concevoir un enfant. Autorisation rarissime, car dans cette Amérique future où la nanotechnologie rend les gens immortels et capables de rajeunir à volonté, il n’en est délivré que 1200 par an. Après cette courte introduction, le premier tiers sert à présenter le monde (dystopique, entre rigidité du contrôle gouvernemental, pestes nanotech forçant les villes à se terrer sous une canopée défensive, robots s’assurant en permanence que vous n’êtes ni un criminel, ni contaminé, et grossesses illégales punies de la plus effroyable des façons) ainsi que la façon dont Sam et Eleanor se sont rencontrés. Ce n’est qu’au début du second tiers que le twist dans l’intrigue va se mettre en place (il se voit venir d’assez loin et rappelle un roman de Frederik Pohl), avant qu’on n’examine ses conséquences (à la fois terribles et touchantes) jusqu’à la fin.
L’Enfance attribuée , écrit en 1995, est un texte incroyable, mêlant de façon magistrale une vision des promesses des technologies futures (nanotech, IA, génétique, téléprésence par holographie, etc.) et surtout de leurs (dystopiques) conséquences sociales. Il montre le délitement du lien social quand la majorité des rencontres se font par holos interposés ou quand les IA ou les clones sont plus humains que les congénères du héros ; celui de l’instinct paternel/maternel quand il doit être renforcé par des médicaments ; celui de la société quand il y a des « immortels » et des humains de base (le fait de condamner les premiers au statut des seconds étant d’ail-leurs une sentence pour les criminels ou les gens contaminés par les pestes nanotech) ; celui des libertés individuelles, y compris celle, fondamentale, de concevoir à volonté, quand le gouvernement se fait totalitaire et son contrôle absolu, particulièrement face à celui qui n’entre pas dans la norme sociale ou sanitaire ou celle qui conçoit illégalement. Et un texte où le sense of wonder (un mariage auquel six millions de personnes assistent au premier rang dans l’église) côtoie l’horreur la plus absolue (la signification exacte du terme retro-conception).
Bref, voilà un court roman visionnaire, du Greg Egan avant l’heure, un mélange harmonieux entre SF scientifique et sociale, entre utopie technique et dystopie sociétale, entre sense of wonder et sense of dread, à lire absolument par tout amateur du genre qui se respecte.
Sam est un artiste, spécialiste des emballages. Eleanor est une toute jeune femme d'environ 200 ans, promise à une carrière politique importante. Ils évoluent dans une société brillante où abondent réceptions et célébrités... et tout débute par une belle histoire d'amour, dans un monde apparemment idéal... Ils sont fous de joie...
Dans ce court roman - presque une longue nouvelle - Marusek nous conte une histoire classique, celle d'un homme dont l'univers s'écroule. La sobriété de l'intrigue et un style sans fioritures, presque anodin, en augmentent paradoxalement l'impact : la société qui se dévoile peu à peu est finalement plus terrifiante que bien des peintures plus morbides du futur. En nous faisant partager le quotidien de ses personnages, qui en deviennent plus vivants, il nous fait prendre conscience de l'absurdité de ce monde où les relations humaines sont devenues plus que superficielles, pratiquement impossibles :
Difficile de s'approcher lorsque les rencontres se font souvent par hologrammes interposés. Difficile de s'intéresser aux autres lorsque nous vivons entourés de compagnons virtuels, d'autres "soi" plus compétents et qui jamais ne feront un reproche... des assistants indispensables sans lesquels il devient impossible de prendre un ascenseur ! Difficile d'avoir confiance quand plus aucune intimité n'est possible et qu'il suffit d'avoir les moyens de percer les défenses des assistants pour savoir tout - absolument tout - sur un individu. Difficile de supporter la vie familiale lorsque l'on bénéficie d'une longévité de plusieurs centaines d'années et que les enfants peuvent choisir de ne pas vieillir en s'incrustant chez leurs parents.
Sam et Eleanor ont pourtant surmonté ces obstacles. Lorsque le héros sera victime d'un "bug" (qui n'est pas sans rappeler le dysfonctionnement de Brazil, le film de Terry Gilliam - est-ce un hasard si le personnage central s'appelle Sam ?), les conséquences en seront d'autant plus cauchemardesques...
Même s'il ne véhicule pas d'idée véritablement nouvelle, ce récit épate par son déroulement parfaitement maîtrisé et sa crédibilité. Marusek illustre parfaitement ses craintes, de façon simple mais non simpliste : attention à la société que l'on construit, car nul n'y sera à l'abri !…
À la fin du vingt-et-unième siècle, le monde ne ressemble plus guère à ce que nous connaissons. La prospérité semble générale, les progrès de la science et de la médecine assurent à l'homme une quasi-immortalité, le système solaire est colonisé. Sam Harger est un créateur très coté, inventeur entre autres du papier d'emballage imitant la texture de la peau humaine, et qui, bien sûr, saigne lorsqu'on le coupe. Ses conquêtes féminines ne se comptent plus, mais sa relation avec Eleanor Starke, procureur multinational promise à un brillant avenir, va le transformer radicalement. Le fait que le ministère de la Santé les autorise à avoir un enfant — chose exceptionnelle dans un univers où la longévité accrue risque d'entraîner une surpopulation dramatique — ne peut qu'ajouter à leur bonheur. Pourtant, un grain de sable va s'insinuer dans ce meilleur des mondes et remettre en cause toutes les certitudes de Sam Harger...
De David Marusek, on ne sait à peu près rien, si ce n'est qu'il a publié deux autres nouvelles avant celle-ci (et depuis ?). Quoiqu'il en soit, L'Enfance attribuée est une novella absolument extraordinaire. L'univers mis en scène ici est tout à fait fascinant, fort complexe dans son fonctionnement mais décrit par l'auteur avec une acuité qui force le respect. C'est également l'une des sociétés les plus originales que la science-fiction nous ait offerte ces dernières années. En outre, sa brièveté ne fait que rendre ce récit plus intense.
La parution de L'Enfance attribuée me semble être un choc tout à fait comparable à celui que procura il y a quelques années le Baby Brain de Greg Egan. « [David Marusek] n'a pas fini de faire parler de lui dans les années à venir » s'exclame Gardner Dozois dans sa présentation de l'auteur. J'espère bien...