BÉLIAL'
(Saint-Mammès, France), coll. Une Heure-Lumière n° 20 Date de parution : 29 août 2019 Dépôt légal : août 2019, Achevé d'imprimer : août 2019 Première édition Novella, 112 pages, catégorie / prix : 8,90 € ISBN : 978-2-84344-953-6 Format : 12,0 x 17,9 cm✅ Genre : Science-Fiction
Existe aussi en numérique, aux formats ePub (ISBN : 978-2-84344-882-9) et PDF (ISBN : 978-2-84344-881-2) au prix de 4,99 €.
Il y a la Colonie, une constellation d’habitats spatiaux cachée au sein d’un système stellaire isolé et sans intérêt. Et puis il y a Duke, le Président de ladite Colonie, élu au poste car il était précisément le type qui le désirait le moins. Essentiellement honorifique, le job s’avère toutefois offrir certains avantages. En temps normal… Car voilà qu’une sonde terrienne franchit les limites du système. La pire des nouvelles au regard des membres de la Colonies, eux qui, sous la houlette d’Isabel Potter, généticienne de légende, ont élaboré une utopie contrainte de fuir l’autorité du Berceau depuis plus de cinq siècles. Or, en ce qui concerne le viol des strictes lois bioéthiques terriennes, il n’existe aucune prescription, et la Colonie n’encourt rien moins que l’annihilation. Sauf à ce que Duke, contre toute attente, ne se révèle l’homme de la situation…
« Un talent littéraire naturel... »
THE GUARDIAN
Critiques
La Colonie, une constellation d'habitats spatiaux, occupe un système planétaire pauvre et par ailleurs vide. Ce qui lui convient très bien puisque ses habitants cherchent à échapper à l'Agence, l'organisation de la Terre qui recherche ses fondateurs depuis des siècles pour avoir outrepassé toutes les lois bioéthiques en vigueur. Ceux-ci, les Écrivains, ont pourtant donné naissance à une Utopie, laquelle héberge des humains modifiés de toutes les manières, et des êtres géniaux issus de manipulations génétiques plus profondes encore. Si les manipulations sont condamnables, que peut justifier un tel acharnement de la part de la Terre au vu du résultat ?
Acadie débute sous la forme d'une nouvelle à problème, si typique de certains auteurs de l'âge d'or de la SF américaine (que l'on songe à Isaac Asimov par exemple). Ici, le problème prend la forme d'une sonde qui pénètre profondément dans la Colonie dès le début du récit. Événement fort inquiétant parce que normalement impossible : la Colonie est en effet protégée par une ligne d'alerte constituée d'une myriade de satellites minuscules destinés à détecter, voire à détruire, tout intrus se dirigeant vers l'espace occupé par les habitats. Il s'agit donc de comprendre très rapidement ce qu'est cette sonde, si elle a réussi à localiser la Colonie et à envoyer un message, ou s'il faut se résoudre à fuir comme cela est déjà arrivé par le passé.
Le récit avance en chapitres très courts et alterne plusieurs flash-backs qui permettent d'appréhender l'apparence de cette Colonie, sa technologie, son histoire. Dave Hutchinson propose une forme de gouvernement originale et amusante, et des environnements naturels réalistes avec d'omniprésentes contraintes liées à gravité en particulier. Il joue également assez bien avec les échelles d'espace et de temps. Un système planétaire est en effet très vaste et essentiellement constitué de vide. Détecter une poignée d'humains perdus au milieu d'une ceinture d'astéroïdes est une gageure, et l'incertitude du temps qu'il a fallu à la sonde pour arriver ou pour contacter l'Agence sont parmi les questions primordiales auxquelles doit répondre Duke, l'actuel Président de la Colonie. Au bout du compte, la nouvelle est fluide, facile d'accès et rapide à lire, même selon les critères de la collection Une Heure Lumière. La chute n'est pas inédite, mais offre un certain vertige. Pourtant le récit souffre d'un déséquilibre majeur et il y manque le fusil de Tchekhov. Et pour en faire une critique plus précise, il est nécessaire d'en dévoiler un tout petit peu plus.
Pendant les deux tiers de l'ouvrage, le lecteur tourne les pages en se demandant comment cette sonde va enfin livrer ses mystères, quelle solution peut être trouvée afin d'éviter le déménagement de toute la Colonie, ou même quelle étrange qualité justifie la présence de Duke au sein de celle-ci. Et vers la page 87, plusieurs événements vont précipiter l'histoire vers sa résolution. Mais cette accélération s'accompagne d'un sévère virage dans le récit en quelques paragraphes seulement. L'histoire, qui brasse essentiellement les notions de colonisation spatiale, de voyages intersidéraux, de sciences génétiques, va s'appuyer dès à présent sur deux thèmes majeurs totalement passés sous silence jusque là : la réalité virtuelle et l'intelligence artificielle. Ce qui signifie qu'en une vingtaine de pages seulement, Ian Hutchinson résout le problème qu'il a posé dans un contexte totalement différent de celui de départ. Et cette source de frustration gâche quelque peu les effets de l'épiphanie produite par les toutes dernières pages.
Acadie est le premier texte traduit en français du britannique Dave Hutchinson, auteur prolifique, éclectique (il exerce aussi bien dans la forme courte que la longue, n’hésitant pas à mélanger les genres) et atypique (journaliste de profession, il est resté vingt ans sans publier de fiction). Duke est Président de la Colonie, habitat spatial fondé par une généticienne de génie ayant fui un demi-millénaire plus tôt une Amérique livrée à un régime théocratique et d’alt-right aux lois bioéthiques draconiennes. Depuis, la Colonie se cache des innombrables sondes de l’Agence terrienne gérant la colonisation dans des systèmes extrasolaires précisément choisis parce qu’ils sont peu propices aux activités minières ou au peuplement. Lorsque le récit commence, la chance de la petite utopie, où un anarchisme bon enfant se couple à d’extravagantes modifications génétiques – Iain Banks n’est pas loin —, vient de tourner : une sonde a franchi, sans qu’on comprenne comment, les considérables défenses et systèmes de détection de la Colonie. Et le pire, c’est qu’on ne sait pas depuis combien de temps, ni si l’Agence n’est pas déjà en route. Une seule solution : évacuer. Le récit va s’articuler selon deux axes : les événements dans le présent, et les analepses expliquant les circonstances de la fondation de la Colonie et comment Duke a rejoint ses rangs.
Entre New Space Opera aux échos transhumanistes (ingénierie génétique, hyperpropulseurs, communication par intrication quantique, etc) sérieux centré sur la bioéthique, et humour décalé (on donne le pouvoir précisément à ceux qui n’en veulent pas, les noms de vaisseaux sont désopilants, le ton caustique du narrateur est savoureux, le Conseil de la Colonie, constitué de gens trans-formés par la génétique en elfes, hobbits, Klingons ou même Toons, est un pur délire de geek), on se dit qu’on tient là un roman intelligent, sympa, mais somme toute mineur. Et là, dans le dernier quart, a lieu LE retournement de situation qui remet absolument tout, l’humour y compris, en perspective. S’il peut éventuellement se voir venir, selon la culture SF du lecteur, cela n’en gâche pas pour autant son impact vertigineux, et si la thématique mise en jeu peut paraître, de prime abord, du rabâché, ayant été lourdement exploitée, en autre au cinéma, ces vingt-cinq dernières années, ce serait négliger le fait que l’auteur lui fait subir un twist très intéressant.
Avec Acadie, Hutchinson fait une entrée fracassante dans la SF ac-cessible aux francophones, signant un (court) roman aussi intelligent (dans sa façon d’alerter sur les dangers de certaines technologies) que vertigineux (via un retournement de situation radical au moment où le lecteur s’y attend le moins). Un must-read, sans nul doute.