À soixante-treize ans, Sylvia Harrison est une autrice à succès ayant déjà publié plus d’une trentaine de romans. Le prochain se déroulera à Thalia, une cité qui ressemble beaucoup à Florence et qu’elle a imaginée pour la trilogie qui a lancé sa carrière. Afin de nourrir son inspiration, elle se rend en Italie et va, une nouvelle fois, faire appel à lui. Lui ? Il apparaît dans presque tous ses romans. Il a été dragon, voleur, guerrier et même dieu. Il est celui grâce à qui Sylvia a créé ses personnages les plus marquants. Celui à qui elle parle en son for intérieur depuis des décennies. Celui qui l’a sauvée, qu’elle a chassé, qu’elle a accueilli de nouveau. Celui qui s’éteindra avec elle, lorsqu’elle décédera. S’éteindre ? Ça, il ne peut l’accepter.
Histoire trépidante, méditation sur la réalité et la fiction, Ou ce que vous voudrez est une magnifique lettre d’amour à Florence, à la Renaissance et à la littérature.
Lorsque Sylvia Harrison, une autrice renommée de fantasy, se rend à Florence, elle sait que c’est pour écrire son dernier roman. Celui-ci se passe encore une fois en Illyrie, dans la cité de Thalia, magiquement bloquée à la Renaissance par la disparition du progrès, et où on ne meurt plus, sauf si on le désire. Mais Sylvia n’écrit pas vraiment ce roman seule : la narration est dirigée par son ami imaginaire, un esprit qui partage son cerveau depuis son enfance, et qui s’incarne dans les personnages de ses romans.
Ou ce que vous voudrez n’est pas un roman comme les autres, c’est d’abord un tour de force littéraire. Livre dans le livre, le roman de fantasy que Sylvia écrit est fortement inspiré de La Nuit des rois, ou Ce que vous voudrez (Twelfth Night, Or What You Will) de William Shakespeare, auquel Sylvia et son ami imaginaire ajoutent différents éléments fantastiques et incongrus comme des personnages d’autres pièces de Shakespeare (Caliban de La Tempête) ou des visiteurs d’autres siècles. Alternant les chapitres où l’ami imaginaire raconte la vie de Sylvia et ceux qui déroulent ce roman de fantasy, Jo Walton se plait à les mélanger, provoquant des irruptions du réel dans la fantasy, mêlant la vie de Sylvia, depuis sa jeunesse, ses rapports difficiles avec sa mère qui ont provoqué une première disparation de son ami imaginaire, jusqu’à ses deux mariages, le premier catastrophique, le second merveilleux, transformant au passage cet ami imaginaire en véritable conscience à la Jiminy Cricket qui sauve Sylvia d’une situation effroyable, et pose la question ultime : celle de l’immortalité, de la survie d’un auteur ou d’une autrice à travers son œuvre et ses personnages.
Tout cela donne un roman rempli de pistes de réflexion, faisant feu de tout bois, parfois au détriment de la narration (les chapitres consacrés au roman de fantasy peuvent par moment paraître décousus) mais toujours stimulant et extrêmement touchant, voire bouleversant par moment. Une grande expérience de lecture.
Été 2018. Sylvia Harrison est venue à Florence pour écrire son prochain livre. C’est une romancière et une poétesse reconnue, récompensée par un World Fantasy Award. Sa mère ne l’a jamais aimée, mais la littérature l’a aidée à grandir et s’émanciper, l’a sauvée. Elle apprécie les livres, les voyages et la bonne chère. Elle se prépare à participer à la Convention mondiale de science-fiction de San José. Jusque-là, il pourrait s’agir d’un portrait de Jo Walton. Mais Sylvia a 74 ans et, minée par la maladie, elle est consciente d’entamer son dernier livre.
Le narrateur est sa muse, l’ami imaginaire qui s’est incarné dans tous ses textes mais qui reste prisonnier de son crâne (sa « caverne d’os »). Il ne veut pas disparaître avec elle. Il va chercher l’immortalité pour sa créatrice et pour lui-même dans une Renaissance fictive, issue d’un cycle de romans que Sylvia a décidé de revisiter. À la recherche d’une porte sur un éternel été, il invoque avec son accord des souvenirs enfouis de la romancière, dévoilant progressivement les traumatismes de sa vie.
Ou ce que vous voudrez est un roman complexe, qui mêle les trames temporelles et spatiales, et les incises du narrateur en conversation avec Sylvia et avec un futur lecteur. Sa ville de fantasy, Thalia, est le miroir de Florence dans un monde de magie où l’on ne meurt plus de vieillesse, et où le Progrès n’est jamais advenu, où Marcile Ficin et Pic de la Mirandole, mais aussi Miranda et Prospero, sont des mages puissants.
La couverture d’Aurélien Police est une réussite, qui nous fait entrer dans le tableau, en mélangeant les époques et les mondes, et en attirant notre regard fasciné par le dôme de Brunelleschi, la clef d’entrée dans l’histoire.
Jo Walton mobilise les références littéraires de la science-fiction, de la littérature anglaise du xixe siècle, des humanistes de la Renaissance italienne et des auteurs antiques. Comme dans Morwenna, ses personnages se nourrissent de vrais ouvrages en suscitant des désirs de lecture : Chelsea Quinn Yasbro (avec un clin d’œil appuyé à son Ariosto Furioso), Kim Stanley Robinson, Sofia Samatar… Ou ce que vous voudrez est donc avant tout une ode à la littérature, mais aussi à la culture et à la langue, sous une influence prégnante et revendiquée de Shakespeare et de son Italie imaginaire, avec une érudition gourmande et explicite. C’est aussi une déclaration d’amour à Florence, dont l’autrice nous dévoile les petits plaisirs au quotidien, du glacier de quartier au restaurant gastronomique associatif, et ses coups de cœur parmi les nombreux chefs-d’œuvre de la cité.
Seuls regrets : une fin qui semble un peu précipitée, et le ton distancié, inhérent à la construction du roman, qui freine une lecture immersive. SiMorwenna était un roman par et pour le fan, Ou ce que vous voudrez est un ouvrage d’auteur, un tour de force intimiste qui guide le lecteur dans les rouages de l’écriture : comment sont construites les intrigues, comment naissent et se développent les personnages… Pour ceux qui oseront entrer dans le tableau, soulever le voile, entrer dans la brume de la création !
Anouk ARNAL Première parution : 1/1/2023 Bifrost 109 Mise en ligne le : 27/6/2025