CALMANN-LÉVY
(Paris, France), coll. Dimensions SF Dépôt légal : 2ème trimestre 1979 Première édition Roman, 200 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-7021-0306-5 Format : 14,0 x 21,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
La Bataille Permanente : elle oppose les deux puissances qui se partagent la planète — Blocouest contre Varsoviens. Cela semble durer depuis toujours, et les scopitones de toutes les villes du monde retransmettent quotidiennement les combats.
La Cité O'Neill : c'est l'utopie. Une immense station à mi-chemin de la Terre et de la Lune. Malgré la guerre, on en poursuit la construction. Mais les travaux sont entourés de mystère. Qui ira vraiment habiter là-haut, lorsque la Terre sera ravagée ?
Cyrus Vancouver, journaliste sans lecteurs et bientôt sans journal, lutte pour la survie d'une des dernières publications indépendantes du Blocouest. Pour lui, il existe un lien entre la conduite de la guerre et l'achèvement de la Cité.
Les frontières d'Oulan-Bator évoque les univers piégés de Philip K. Dick. Pierre Giuliani y décrit un monde dont les règles s'effacent à mesure qu'on croit les découvrir. Un jeu fascinant s'organise entre fiction et réalité : la question ultime est de savoir laquelle manipule l'autre.
Pierre Giuliani est né à Dublin (Irlande) en 1947. Il collabore, en tant que critique de cinéma et de littérature, à diverses publications. Son premier roman, Séquences pour le chaos, a été publié en 1977.
Critiques
POUR UNE SF CANCERIGENE
Pourquoi les gros pontes de la « Compagnie de Presse et de Télécables » proposent-ils des sommes fabuleuses pour racheter le journal, petit hebdo indépendant dont Cyrus Vancouver assure la direction ? Quel lien existe-t-il entre la construction, à mi-chemin de la Terre et de la Lune, de l'utopique Cité O'Neill 1, la disparition sur Clavius du correspondant du journal et la Bataille Permanente qui oppose BlocEst et BlocOuest, bataille dont l'enjeu est l'impossible conquête de la Frontière Inaltérable, du côté d'Oulan-Bator ?
Malgré son apparence éclatée le roman démarre classiquement, un peu dans la tradition des grands romans noirs américains, maniant avec bonheur une écriture sèche et nerveuse, fébrile même, et adaptant le schéma de l'enquête, celle menée par Cyrus Vancouver, journaliste sans lecteurs et bientôt sans journal 2 qui cherche à comprendre ce que cache la STM (Société pour la Technologie Militaire). Dénonciation des multinationales qui, au-delà des frontières et du faux antagonisme Est/Ouest, manipulent la réalité et les individus, intoxication forcenée par les média au service du Grand Capital, on attendait Les hommes du Présidentune sorte de Watergate de l'espace. Et voilà que, basculant dans le cauchemar après le premier tiers, Les frontières d'Oulan-Bator dérivent du côté d'Ubik et de La vérité avant-dernière.
En authentique auteur de science-fiction, Pierre Giuliani — dont c'est là le deuxième roman 3 — recrée un univers en trompe-l'œil où la fiction (la nouvelle insérée dans le roman et lue par Cyrus Vancouver pervertit le temps du récit), où le macrocosme prend sa source dans le microcosme, où les mondes enchâssés nés de la physique du trou noir s'affrontent dans de borgésiens jeux de miroirs. Car la SF se doit de repenser le monde, non de le replâtrer. L'infernale logique du trou noir qui distord la réalité et renverse le principe de l'explosion (« Au lieu d'un temps zéro et d'un espace infini, il y a un temps et un espace zéro »), engendre des univers alternatifs que sépare la seule épaisseur d'une fumée de cigarette, des présents-gigognes dont la clef est cette cigarette Standard que fume avidement le héros (attention, abus dangereux ! Loi du 9 juillet 1976).
Littérature de l'altérité, la science-fiction de Giuliani est redoutablement cancérigène, spéculant très intelligemment et à l'infini sur les apparences politiques du quotidien, sur l'illusion de la réalité et le réel des univers illusoires, sur la matière textuelle elle-même. Après Dominique Douay et en attendant Philippe Curval, la collection Dimensions, avec Les frontières d'Oulan-Bator, négocie remarquablement son virage « à la française » et révèle un auteur digne de ses illustres prédécesseurs anglo-saxons.
Notes :
1. Voir Les villes de l'espace par Gérard O'Neill (Coll. Les visages de l'avenir — Laffont) 2. Le frère, en somme, du journaliste irlandais de Rouge, Piotr Gourmandish ? 3. Séquences pour le chaos, premier roman de l'auteur paru chez Lattes en 1977, était un intéressant politic-opéra, complexe (trop ?) et ambitieux.