Appelez-les des « pièces de rechange ». Ils (ou elles) avaient à faire un choix : la prison pour leurs crimes ou la semi-liberté comme serviteurs volontairement attachés à une personne particulière. Mais, pour prix de ce singulier servage, leur contrat incluait l'obligation de faire don à leur maître de tout organe ou membre corporel dont la greffe s'avérerait nécessaire en cas de maladie ou d'accident. Tel était le risque. Joe Sagar employait des serviteurs de ce type dans la ferme où il élevait des animaux extra-terrestres dont il revendait les peaux aux gens riches. Il ne se posait pas de questions au sujet de ses serviteurs : n'étant ni pour ni contre eux. Mais quand Carioca Jones, célèbre star de la télévision, lui rendit visite, il rencontra sa servante : une ravissante fille douée pour la musique. Il est dangeureux de s'éprendre d'une servante, surtout quand sa maîtresse est amoureuse de vous. Et ce l'est encore plus quand cela peut déclencher l'explosion qui couve sous l'ordre, difficilement maintenu en équilibre, d'une société vivant dans une Péninsule post-cataclysmique...
Michael G. Coney est, selon Theodore Sturgeon, l'un des meilleurs nouveaux écrivains américains de science-fiction. On lui doit, entre autres, The Hero of Downways, Found in Orbit, Friends Come in Boxes, Mirror Image et, déjà parus en français, deux romans : Les Enfants de l'hiver et Zyzgie.
Critiques
J'aime qu'un propos intéressant soit soutenu par une histoire bien racontée. Ce qui est précisément le cas de ce roman signé par un des meilleurs nouveaux écrivains américains de S.F. (ce n'est pas moi qui l'affirme, c'est Théodore Sturgeon, et je n'irai pas le contredire après ce que j'ai personnellement lu du susnommé Coney).
Il était une fois une société d'humains qui vivait sur Terre, dans une ère nouvelle succédant à un cataclysme géologique, et qui croyait avoir trouvé le bon moyen pour punir et faire payer ses déviants, criminels en tous genres — les faire payer dans leur corps et leur conscience. Ce moyen était le suivant : soit la prison, soit s'attacher en servage pour un temps de semi-liberté auprès d'un citoyen libre. Avec à la clé l'obligation de faire don à son maître de tout organe corporel dont la greffe serait nécessaire en cas de maladie ou d'accident. Il était une fois, dans cette société, un éleveur de slictes nommé Joe Sagar, citoyen libre et membre d'un club de vol sur planeurs étranges, une certaine Carioca, ex-vedette vieillissante et aigrie, un pénitencier bizarre, une banque d'organes douteuse, un trafic clandestin de pseudo-touristes, une faune aberrante d'animaux de compagnie trafiqués (des poissons adaptés à la vie terrestre). Il était une fois des Abolitionnistes de la nouvelle Loi Pénale.
C'était un univers de crocs et de griffes : un univers d'humains.
Joli tour de force de la part de l'auteur qui nous rend parfaitement crédible cet univers, à petites touches successives, par l'intermédiaire d'un personnage central narrateur surtout pas héroïque, individu moyen tel qu'il en existe des milliers, dans ce monde-là. Ni meilleur ni pire, amené à une certaine prise de conscience, comme d'autres avec lui. Ni meilleur ni pire. Fait de griffes et de crocs, lui aussi. Comme c'est le lot de tous, des plus arrogants aux plus doux. Comme nous le découvrons au fil des pages, englués dans un suspense qui ira crescendo jusqu'à l'explosion finale (avec un passage admirable consacré aux manipulations des média). Une explosion finale, comble de raffinement et d'horreur tranquille, qui se fera sur les gammes ordinaires de la vie courante, sans recourir à l'artifice du spectaculaire factice. A vous laisser pantois. Griffes et crocs douloureux.