Fritz LEIBER Titre original : Our Lady of Darkness, 1977 Première parution : New York, USA : Berkley/Putnam, février 1977ISFDB Traduction de Guy ABADIA Illustration de Jean-Pierre SÉNAMAUD
CASTERMAN
, coll. Autres temps, autres mondes - Romans n° (14) Dépôt légal : 3ème trimestre 1980, Achevé d'imprimer : juin 1980 Première édition Roman, 202 pages, catégorie / prix : nd ISBN : 2-20322714-1 Format : 13,7 x 19,7 cm✅ Genre : Fantastique
Pour Frank Westen, écrivain de science-fiction et de fantastique habitant San Francisco, tout commence le jour où il observe de sa fenêtre, aux jumelles, le Mont de la Couronne qui domine la ville. Il y aperçoit à plusieurs reprises une étrange silhouette au comportement singulier. Se rendant sur les lieux, il ne trouve rien. Mais, braquant ses jumelles vers la ville pour localiser son domicile, il voit à la fenêtre de son appartement la même silhouette lui faire des signes ! Frank Westen est amené à relier cet incident à l'intérêt qu'il porte aux théories occultes d'un vieil illuminé disparu cinquante ans plus tôt : Thibaut de Castries. Ce dernier prétendait que les grandes villes et leurs constructions géantes engendraient des forces mauvaises qu'il appelait « entités paramentales », et il affirmait avoir inventé le moyen magique de les contrôler. En partant d'un journal manuscrit de l'écrivain fantastique das années vingt, Clark Ashton Smith, où celui-ci narre ses rencontres avec de Castries, Frank Westen mène son enquête et découvre que le vieux mage avait fondé une société secrète (attirant à lui des gens connus comme Ambrose Bierce et Jack London !). Son but : provoquer par la magie la destruction des grands immeubles. Sa première réalisation : le grand tremblement de terre de 1906. Depuis, de Castries est mort et sa société secrète dissoute de longue date. Mais Frank Westen va découvrir qu'il a laissé une malédiction posthume, et que celle-ci est restée terriblement, dangeureusement agissante...
Fritz Leiber est né en 1910 à Chicago, ville où il a longtemps vécu. Son père et sa mère étaient des acteurs de théâtre dans une troupe itinérante, spécialisée dans le répertoire shakespearien, et dont il accompagna très jeune les tournées. Le métier d'acteur fut d'ailleurs sa première vocation. Puis il a débuté en 1939 avec éclat dans la littérature fantastique, avant de se tourner vers la science-fiction, genre qui lui doit certaines de ses plus belles réussites dans le domaine du roman (voir son chef-d'oeuvre, Le Vagabond), et dans celui de la nouvelle. Depuis, Fritz Leiber n'a jamais cessé d'écrire. Auteur à la stature considérable, il est aussi (comme Theodore Sturgeon) l'un des « grands » de l'Age d'Or dont l'oeuvre est restée la plus moderne — comme en témoignera, prochainement dans cette collection, une anthologie de ses nouvelles axée sur toutes les périodes de sa carrière. Dans Notre-Dame des Ténèbres, son tout dernier roman qui marque un passionnant et surprenant retour au fantastique, il se met malicieusement en scène lui-même (Frank Westen est son frère jumeau, son double) et mêle la fiction à la réalité en introduisant dans l'intrigue des personnalités réelles, notamment celle de l'écrivain Clark Ashton Smith, qui fut le plus grand auteur fantastique américain avant Lovecraft.
Critiques
Que j'aime, décidément, Fritz Leiber ! Parce qu'il a su, toujours, s'écarter des conventions de la mode, des effets trop faciles, des grandes machines livresques que les critiques font et défont selon l'humeur du moment. De toute la littérature américaine de l'imaginaire moderne, il est un des auteurs les plus complets, les plus surprenants. C'est pourquoi, sans préambule, je vous recommande son dernier roman fantastique, Notre-Dame des Ténèbres. Cet ouvrage d'une richesse insolite se présente comme la version élargie, amplifiée, d'un feuilleton paru dans les numéros de janvier et de février 1977 de The Magazine of Fantasy and Science Fiction, sous le titre The pale brown thing, et publié un peu plus tard dans Fiction (L'étrange chose, juillet-août, septembre 1977).
Notre-Dame des Ténèbres (une allusion à Suspiria de Profundis, de Thomas De Quincey) est le récit d'une étrange (en) quête dans un San Francisco contemporain hanté par des « entités paramentales ». Le narrateur, qui ressemble peu ou prou à Leiber lui-même, cherche dans la grande cité californienne les traces d'un thaumaturge nommé Thibaut de Castries. Pour le guider, il possède un cahier qu'il suppose de la main du grand Clark Ashton Smith, le poète, sculpteur et conteur fantastique. De Castries, farouche adversaire des cités verticales, a créé une science nouvelle, judicieusement appelée Mégapolisomancie. Il a juré la perte des villes tentaculaires !
Truffé d'inventions, d'allusions, de citations, peuplé de personnages mystérieux ou attachants, ce roman renoue brillamment avec le fantastique citadin que Leiber avait si bien illustré dans quelques-uns de ses premiers récits, recueillis dans Night's black agents. Certains ont d'ailleurs paru au fil des ans dans Fiction : Sac de suie. Je cherche Jeff, etc. On les retrouvera dans l'anthologie d'Alain Dorémieux qui paraît chez Casterman en même temps que ce roman : Les lubies lunatiques de Fritz Leiber.
Je terminerai cette critique sur une note mélancolique ; car avec Notre-Dame des Ténèbres disparaît la série de romans dirigée par Dorémieux chez Casterman (la collection continuera de publier uniquement des anthologies). Les impératifs économiques et la qualité littéraire ne se laissent pas toujours marier aisément. Et c'est bien dommage ! Mais cette série meurt en beauté, avec un livre que tous les vrais amoureux du fantastique se doivent de mettre sur un des rayons de leur bibliothèque.