Pour nombre de lecteurs, le nom de Sir Henry Rider Haggard est assimilé, tel Flaubert, à celui de son personnage principal : She. On ne saurait leur en tenir rigueur : longtemps, seuls des fragments du cycle de She furent disponibles en langue française, et il fallait découvrir de vieilles éditions des années 30 pour connaître Allan Quatermain, même après Steward Granger ! Heureusement, Néo persiste et signe avec un égal bonheur dans sa redécouverte d'un auteur fondamental du récit d'aventures intelligent, peintre des Passions et du Destin.
Si l'Afrique a nourri les branches principales de l'œuvre de Rider Haggard, celui-ci ne pouvait ignorer les autres lieux propices à l'imaginaire, au premier rang desquels l'Amérique Latine. A l'égal des vieilles civilisations noires du Zimbabwe, le privilège de la géographie de ce continent est d'entretenir les traditions des peuples perdus : El Dorado et les sauriens de Conan Doyle... La vierge du soleil, dans la même collection, a soulevé un coin du voile. Cœur du monde en révèle un peu plus.
Ils sont tous là : la Cité perdue, la Tradition séculaire, le Trésor qui attire des aventuriers sans scrupules (les aventuriers sont toujours sans scrupules !), le digne et courageux Anglais, les nobles Indigènes porteurs du poids de leur passé, ici les indiens de souche Aztèque honnis des mexicains métis. (En passant, peut-être pas si « clair » idéologiquement, noire britannique : sa valorisation de l'indien idéalisé — les Aztèques furent « relativement » barbares — se fait aux dépens du mexicain bâtard d'espagnol. Ode aux races pures ?)
Comme toujours, mais le motif est attendu chez l'auteur et ses variations toujours subtiles, la passion amoureuse noue avec le destin des personnages une trame définitivement tragique. La mort et la destruction sont au rendez-vous : si le feu consumait Ayesha, l'eau engloutira ici perdre sa belle princesse indienne en même temps que le goût de la vie. S'il est une œuvre dans laquelle l'antique fatum écrase l'être humain, c'est bien chez Rider Haggard. Cette perception du tragique exceptionnel en fait l'auteur d'ouvrages incomparables, qui traversent intacts les modes et les décennies.