Avec la consciencieuse assurance d’un bon artisan, John Brunner démontre dans chacun de ses romans qu’il n’est l’esclave ni d’un genre, ni d’un style, ni même d’un message. Ce récit, qui parut primitivement en Angleterre en 1965, utilise un certain nombre de thèmes familiers, mais il est mené à un rythme rapide et régulier, en combinant adroitement des traits d’un roman policier à plusieurs données psychologiques et sociales. L’action est narrée par le protagoniste. Elle se déroule en quelques jours à peine. Le lecteur est entraîné dans le mouvement sans posséder au début tous les éléments du décor, mais ceux-ci lui sont fournis en cours de route, clairement, complètement et adroitement.
L’action se situe à une époque à laquelle l’humanité a commencé la colonisation de certaines planètes de la Galaxie. Des races Intelligentes ont été découvertes sur plusieurs de celles-ci, mais aucune de ces races ne possédait la navigation interstellaire. L’humanité se trouve donc dans une position privilégiée par rapport aux extra-terrestres, avec lesquels elle entretient de bons rapports. Seulement, une des colonies humaines, celle d’un monde baptisé Stellaris, a considérablement progressé par elle-même : ses astronefs ont découvert une nouvelle espèce intelligente, sur une planète gravitant autour de l’étoile Tau Ceti, et cette découverte encourage leurs velléités d’indépendance. Lorsque le rideau se lève, un astronef stellarien amène vers la Terre la première délégation de Tau Ceti, et les Stellariens espèrent évidemment que les Terriens commettront quelque maladresse au cours de cette première rencontre.
Bien entendu, il existe un organisme chargé de résoudre ce genre de problèmes : c’est le Bureau des Relations Culturelles, dans lequel le narrateur occupe un poste assez élevé. Mais le Bureau doit simultanément faire face à d’autres difficultés, et en particulier à celles que suscitent les fanatiques de la « Ligue des Étoiles pour l’Homme », lesquels voudraient faire de la navigation interstellaire un monopole de l’homme. Le roman raconte comment les divers problèmes se concrétisent par des crises plus ou moins graves, comment celles-ci sont résolues sous le regard moins indifférent qu’il ne semble d’un extra-terrestre venu de Régulus, et comment un jeune sociologue génial découvre que le rapport des forces entre la Terre et Stellaris n’est pas tout à fait ce qu’il paraît à première vue.
Il est clair que pour Brunner – tout comme pour Asimov, par exemple – l’histoire se répète fréquemment. Ainsi que le remarquent les personnages du récit, les relations entre la Terre et Stellaria sont à peu près celles qui existaient au dix-huitième siècle entre l’Angleterre et ses possessions d’Amérique. La proclamation d’indépendance des États-Unis constitue un précédent à suivre, estiment les personnages du livre, et le court épilogue indique que leur choix était le bon.
Parallèlement à cette confiance qu’il accorde aux ensembles de population (nations ou planètes) qui atteignent leur maturité, Brunner attaque vigoureusement les racistes. Car il est clair que l’attitude de sa « Ligue – envers les espèces non humaines est directement calquée sur celle des extrémistes pour lesquels la valeur d’un homme est fonction de la couleur de sa peau. Là aussi, l’auteur se montre optimiste quant au bon sens de ses personnages, puisqu’il montre la « Ligue » réduite à néant dans l’épilogue.
En marge de tous ces conflits majeurs, le narrateur a ses propres problèmes, qui englobent en particulier une liaison moins heureuse qu’il ne parait au début, ainsi que divers attentats dans lesquels il est indirectement impliqué. Il y a là plusieurs plans narratifs entre lesquels l’auteur ne se perd nullement, alors même qu’il réussit à mêler leurs éléments en un apparent désordre, suggérant ainsi le tourbillon au milieu duquel le narrateur essaie de garder sa lucidité. La restitution du style employé par Brunner était moins simple qu’on ne le penserait ; notre rédacteur en chef et néanmoins ami, à qui l’on doit la version française, est parvenu à conserver le rythme et le caractère de l’original avec passablement de naturel.
Le seul point faible de ce roman est le tracé sommaire des caractères. Mais cela n’est pas bien grave, car ce sont surtout les situations collectives – conflits sociaux, attitudes psychologiques de groupes – qui conditionnent l’action. Et le décor de celle-ci – une utopie fondamentalement heureuse dans laquelle on ne s’ennuie pourtant pas – présente une consistance qui compense ce défaut.
Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/9/1970 dans Fiction 201
Mise en ligne le : 26/1/2020