L'île des ombres constitue le premier tome d'une saga, celle des Harponneurs d'Étoiles. Un trio conflictuel, comprenant Takeda le voyou, Dozo le harponneur et Ki la plongeuse, s'est formé au cours de cette première aventure et le texte se termine sur Dozo criant : « un jour nous percerons leur secret ».
Voilà un roman de pures et folles aventures. Nous sommes situés en un avenir indéterminé, dans un univers aux références japonaises. Les îles nombreuses où vivent les pêcheurs sont attaquées par un dragon mystérieux, qui tranche la terre sous le sol insulaire. Coupées de leur socle par les dents du monstre, les îles partent à la dérive sur l'océan. Dozo, sur un bateau à l'équipage affamé, est à la recherche du dragon pour le tuer. Ki de son côté voit son île désamarrée se mettre à voguer vers le pôle. On tend des voiles et on tente de poser un gouvernail à l'île. Tentative décrite avec son lot de péripéties, où Ki et Takeda se rencontrent, mais qui échoue. Après avoir assisté aux ravages d'un être en armure vomi par le dragon, qui calcine les habitants d'un village, Dozo retourne sur l'île où l'attend Ki et la convainc, ainsi que Takeda, de l'accompagner là où il a aperçu le dragon. Sur place, ils luttent contre les cendres des habitants incinérés qui reprennent forme humaine. Ils vivent même un moment de la vie des ombres, avant que Ki ne leur sauve la vie.
Ainsi résumé, nous avons une sorte de discours aussi aberrant que celui d'un mythe étranger à notre culture et, par les descriptions fabuleuses, une sorte de délire contrôlé. Les images de plongées, les ruses des îliens pour attirer les bateaux, la transformation de l'île en vaisseau, la lutte avec les hommes de cendre, l'irruption de l'armure maudite depuis la bouche du dragon, tout laisse entrevoir derrière le pseudonyme japonais un auteur chevronné. De ce point de vue, les images d'archipels désamarrés rappellent celles de Mange Monde, le roman de Serge Brussolo publié chez Denoël. Mais le traitement est totalement différent. Ici, plus de sculpteurs d'îles ou d'explosions, c'est-à-dire de renvois à la science occidentale. Avec L'île des Ombres, c'est le monde de la BD japonaise transposé dans un espace romanesque. Dans les deux cas malgré tout, la même imagination, à la fois délirante et euphorique. On attend avec intérêt la suite que nous réserve ce fameux Akira Suzuko, surtout l'affrontement du trio avec le dragon, qui n'est peut-être qu'un artefact créé par les Dieux à des fins obscures.
Roger BOZZETTO
Première parution : 1/7/1998 dans Ténèbres 3
Mise en ligne le : 12/10/2003