Depuis cinq ans, le journaliste anglais Richard Watt est contraint à l'exil pour avoir humilié en direct Jobling, le candidat du Nouvel Élan parvenu depuis au pouvoir. Installé dans un austère village de Toscane, Watt mène une vie rude mais authentique de vigneron en compagnie de sa femme Magda, n'observant plus que d'un œil lointain le cauchemar totalitaire qui étrangle son pays d'origine. Hélas, Jobling, drapé dans son idéologie prétendument socialiste et assisté par une armée de fonctionnaires zélés, est résolument décidé à éliminer toute trace de subversion et à se débarrasser de ses anciens détracteurs. Watt et sa femme sont bientôt menacés d'extradition avant d'être séparés sans ménagement par la milice. Sans la moindre nouvelle de Magda, Watt est déporté dans un camp de concentration. À la rage succède l'amertume, puis la résignation : l'Angleterre serait-elle désormais totalement dépourvue d'amour ?
Les amateurs de romans noirs connaissent bien Robin Cook, auteur anglais mort en 1994 (à ne pas confondre avec son homonyme américain, célèbre pour ses thrillers médicaux). Le romancier britannique, qui a longtemps vécu en France, nous a laissé quelques-unes des œuvres les plus marquantes des dernières décennies et s'est imposé, avec
Comment vivent les morts, Les Mois d'avril sont meurtriers ou
Cauchemar dans la rue, comme le grand écrivain du bonheur brisé. Ses personnages, touchés par la grâce de l'amour, sont souvent confrontés à la perte de l'être cher dans des circonstances brutales et surtout inéluctables, comme si l'idée même du bonheur était indissolublement liée à son caractère éphémère ; pour Cook, le destin est tout-puissant et se décline en un mot unique, cinglant et définitif : la Mort. Privés de leur âme soeur, les personnages sont alors des cadavres en sursis, zombies que seuls les souvenirs fantomatiques d'une paix enterrée à jamais maintiennent encore dans l'univers des vivants.
Les éditions Rivages exhument aujourd'hui
Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre, roman inclassable paru outre-Manche en 1970 et resté inexplicablement inédit en France, que la quatrième de couverture nous présente comme un «
digne successeur de 1984
d'Orwell ».Tant que le récit s'attarde sur les vignes toscanes, la référence paraît abusive, mais elle prend tout son sens à mesure que nous sont révélés les rouages viciés de la broyeuse étatique et qu'approche le dénouement, d'une détresse absolue. Cette œuvre traumatisante, dédiée à toutes les victimes, ne s'écarte pas d'un iota de la philosophie de son auteur : lecteur, toi qui entres ici, abandonne tout espoir.
S'il n'a pas la portée politique d'Orwell — et cessons là toute comparaison : Cook n'a nul besoin d'un tel parrainage — ,
Quelque chose de pourri au royaume d'Angleterre n'en demeure pas moins l'une des politiques-fictions les plus percutantes que l'on ait lues depuis longtemps. Admirez donc Richard Watt, contempteur enragé des liberticides, se débattre comme un diable dans les filets toujours plus serrés de l'État oppresseur. Ce qui frappe le lecteur pourtant n'est pas tant la dictature elle-même que ses sujets, lâches et pusillanimes, en un mot : humains. Que la superstructure décrite soit socialiste n'a alors aucune importance : l'anticipation ici a surtout valeur d'allégorie.
Car de toute évidence, Cook n'emprunte au roman spéculatif qu'à seule fin de donner corps à l'accablement de son personnage et de permettre au lecteur d'en partager l'effroi. Avec son Angleterre de cauchemar — qui rappelle évidemment les heures les plus sombres du XX
e siècle — , l'auteur nous achève par une ultime injection de sa plume-seringue : la vie, comme le bonheur, ne tient qu'à un fil extraordinairement ténu. Cette absence totale d'échappatoire pare ce roman bouleversant de tout le désespoir du monde. Dépressifs s'abstenir.