En 1830, Gus Landor, officier de police à la retraite, est convoqué par les autorités de l'Académie militaire de West Point pour enquêter discrètement sur le suicide — le meurtre ? — d'un élève retrouvé pendu, et surtout sur l'étrange profanation dont le cadavre a été victime après sa découverte : quelqu'un lui a arraché le cœur de la poitrine, avant de procéder aux mêmes mutilations sur le bétail des environs...
Voici un thriller qui vaut surtout pour son atmosphère, son rythme et ses personnages.
L'atmosphère, c'est celle de la paisible campagne new-yorkaise, dans les Hudson Highlands, pendant cette première moitié du XIXe siècle où le cheval demeure le principal moyen de locomotion. C'est celle aussi d'une académie militaire pour officiers récemment créée, déjà prestigieuse mais déjà controversée, et qui ne peut se permettre aucun scandale. Une atmosphère en apparence tranquille, mais en réalité oppressante, rendue pesante à la fois par l'implacable discipline militaire qui s'impose à tous et par la mortelle menace qui plane sur cette école en vase clos.
Le rythme, c'est celui d'une époque où l'on prend le temps d'admirer un paysage et de s'attarder dans une taverne. Celui d'une enquête où le policier doit plus compter sur sa réflexion et son intuition que sur des méthodes scientifiques qui n'ont pas encore été inventées. La plupart des chapitres sont intitulés « Le récit de Gus Landor » et c'est bien sous la forme d'un quasi journal intime, voire d'une confession, que nous sont exposés les faits de cette étrange aventure.
Quant aux personnages, ce sont justement Gus Landor, le narrateur, veuf inconsolable également abandonné par sa fille, que la mélancolie pousse à boire plus que de raison... et d'autre part le jeune Edgar Allan Poe, élève-officier tourmenté, poète décalé dans cet univers figé, à l'esprit suffisamment vif et brillant pour exceller comme apprenti-détective...
Sur ces bases, l'intrigue ne démérite pas, sans pourtant se démarquer des conventions du genre, avec quelques sensations de déjà-lu/déjà-vu : on suspecte d'abord une secte satanique au sein même de l'école, ce qui rappelle tout autant certains teen-movies que de nombreux ouvrages historico-ésotériques à la mode. De même, l'ambiance austère et glaciale imposée par la rigueur militaire et/ou scolaire n'est pas inédite (voir par exemple Présidio, base militaire pour le côté militaire, ou Les Rivières pourpres pour le côté académie). L'utilisation de Poe comme personnage d'un roman policier est aussi loin d'être un fait unique — vient d'ailleurs de sortir quasi simultanément Noir corbeau, de Joel Rose, chez l'éditeur Anne Carrière. Enfin, le coup de théâtre final, évidemment inattendu, est une radicale twister end à la manière hollywoodienne. Bref, Un Œil bleu pâle dispose de tous les éléments pour être immédiatement adapté en un film parfaitement calibré, au succès garanti.
Il est donc exagéré de prétendre que « Bayard renouvelle complètement le thriller historique » comme le New York Times le prétend d'après la quatrième de couverture. Au contraire, Bayard s'inscrit totalement dans la tradition du genre, mais avec une intelligence certaine et suffisamment de brio pour captiver le lecteur jusqu'au dénouement. C'est assurément un roman policier efficace et séduisant, à défaut d'être aussi original qu'on aurait pu le souhaiter.
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 24/11/2007 nooSFere