Critiques
Pierrette Fleutiaux n'avait jusque-là vraiment rien fait pour se signaler à l'attention du lecteur de SF. En 1975, elle publiait chez Julliard un roman appelé Histoire de la chauve-souris. Suivi en 76 d'un recueil de nouvelles : Histoire du gouffre et de la lunette. Avec son deuxième roman, Histoire du tableau (rééd. Livre de Poche), elle obtenait en 1977 le prix Marie-Claire Femmes. Quand on sait que La forteresse sortit en 1979 sous une couverture représentant une fillette en robe blanche et rubans dans une cour d'immeuble, on se dit qu'avec de tels antécédents il fallait bien du courage au lecteur de Fiction pour faire le premier pas. Qu'une seconde chance soit alors offerte à La forteresse, novella suivi de cinq courtes nouvelles. C'est une œuvre singulière et étourdissante, qui s'incorpore au champ des « galaxies intérieures » ou des « fenêtres internes » comme peu d'auteurs français spécialisés ont su le faire jusque-là : en coulant sa problématique dans une expression totalement originale qui ne doit rien à renonciation américaine, ne refait pas le parcours du Nouveau Roman et évite les mondanités de la littérature générale française. La forteresse, c'est aussi une histoire : celle d'un monde entièrement métallique, de la cité à l'individu, et qui entre en crise. Fable métaphysique, allégorie politique, comme on voudra. Ce qui est sûr, c'est que La forteresse offre au lecteur une expérience métaphorique des limites : autour du langage et autour de la pensée occidentale, jusqu'à leur point de rupture. En fascinant par la perfection de son écriture sèche et sans fioritures, Pierrette Fleutiaux donne à penser que la spécificité de la SF (même celle qui n'avoue pas son nom) lancée à « la recherche d'un lieu possible » est de faire des « conceptions du monde » l'objet même du récit. A découvrir d'urgence. Bruno LECIGNE Première parution : 1/11/1981 dans Fiction 323 Mise en ligne le : 24/5/2010
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