LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
(Lyon, France), coll. Fiction (revue) n° 3 Dépôt légal : mars 2006, Achevé d'imprimer : mars 2006 Première édition Revue, 368 pages, catégorie / prix : 23 € ISBN : 2-915793-14-X Format : 17,0 x 20,0 cm✅ Genre : Imaginaire
Couverture à rabats. Les nouvelles de Jeffrey Ford sont présentées à la fois en version originale et en version française.
Quatrième de couverture
Julien Bouvet
Jack Cady (prix Nebula)
Jim Dedieu
Hélène Escudié
Jeffrey Ford
Esther M. Friesner
Ursula K. Le Guin
Serge Lehman
Yves Meynard
Jerry Oltion (prix Nebula)
Francine Pelletier
Laurent Queyssi
Mary Rosenblum
Robert Sheckley
Vandana Singh
Francis Valéry
« Fiction revient. Cette revue mythique était absente des librairies depuis quinze ans. Mais les éditions Les moutons électriques reprennent le titre pour une parution semestrielle. (...) servi par une maquette élégante et agréable, mais aussi un sommaire prestigieux. » (Télérama)
1 - (non mentionné), Ouverture, pages 4 à 7, introduction, illustré par POYET 2 - Vandana SINGH, Delhi (Delhi, 2004), pages 8 à 25, nouvelle, trad. Stéphan LAMBADARIS, illustré par POYET 3 - Jeffrey FORD, Six Gun Loner of the High Butte #6 (Six Gun Loner of the High Butte #6, 2002), pages 26 à 26, nouvelle 4 - Jeffrey FORD, Le Solitaire au six-coups de la Mesa n° 6 (Six Gun Loner of the High Butte #6, 2002), pages 27 à 27, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 5 - Julien BOUVET, Dans la contemplation, pages 28 à 35, nouvelle, illustré par POYET 6 - Jeffrey FORD, Horrors by Water #8 (Horrors by Water #8, 2003), pages 36 à 36, nouvelle 7 - Jeffrey FORD, Horreurs-sur-l'eau n° 8 (Horrors by Water #8, 2003), pages 37 à 37, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 8 - Esther M. FRIESNER, Une si bonne affaire (Such a Deal, 1992), pages 38 à 57, nouvelle, trad. Martine LONCAN, illustré par POYET 9 - Jeffrey FORD, Spicy Detective #3 (Spicy Detective #3, 2002), pages 58 à 58, nouvelle 10 - Jeffrey FORD, Sexy Detective n° 3 (Spicy Detective #3, 2002), pages 59 à 60, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 11 - Yves MEYNARD & Francine PELLETIER, Navices, pages 61 à 81, nouvelle, illustré par POYET 12 - Jeffrey FORD, Doc Aggressive, Man of Tin #2 (Doc Aggressive, Man of Tin #2, 2002), pages 82 à 82, nouvelle 13 - Jeffrey FORD, Doc Agressif, l'homme de fer-blanc n° 2 (Doc Aggressive, Man of Tin #2, 2002), pages 83 à 84, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 14 - Jim DEDIEU & Laurent QUEYSSI, Planet of Sound, pages 85 à 109, nouvelle, illustré par POYET 15 - Jeffrey FORD, Deep Space Adventure #32 (Deep Space Adventure #32, 2002), pages 110 à 110, nouvelle 16 - Jeffrey FORD, Aventures au cœur de l'espace n° 32 (Deep Space Adventure #32, 2002), pages 111 à 111, nouvelle, trad. Patrick MARCEL 17 - Jack CADY, La Nuit où ils ont enterré Road Dog (The Night We Buried Road Dog, 1993), pages 112 à 165, nouvelle, trad. Lionel DAVOUST, illustré par POYET 18 - Serge LEHMAN, La Légende du processeur d'histoire, pages 166 à 187, article, illustré par POYET 19 - (non mentionné), Futurs à vapeur, pages 189 à 200, portfolio, illustré par George CRUIKSHANK & GRANDVILLE & W. R. LEIGH & Joseph PENNELL 20 - Allen STEELE, Incident au déjeuner des canotiers (Incident at the Luncheon of the Boating Party, 2005), pages 201 à 207, nouvelle, trad. Céline-Albin FAIVRE 21 - Robert SHECKLEY, Magie, marronniers et Maryanne (Magic, Maples and Maryanne, 2000), pages 208 à 219, nouvelle, trad. Sophie JANOD, illustré par POYET 22 - Hélène ESCUDIÉ, Entretien avec Ursula K. Le Guin, pages 220 à 272, entretien avec Ursula K. LE GUIN, trad. Igor KAZMIERSKI rév. Hélène ESCUDIÉ, illustré par POYET 23 - Mary ROSENBLUM, Un air gitan (Gypsy Tail Wind, 2005), pages 273 à 290, nouvelle, trad. Martine LONCAN 24 - Jerry OLTION, Abandonné sur place (Abandon in Place, 1996), pages 291 à 349, nouvelle, trad. Sophie DABAT 25 - Francis VALÉRY, Mes carnets rouges / 11 : « Noyau dur et électrons libres », pages 350 à 362, chronique, illustré par POYET 26 - (non mentionné), Nos auteurs, pages 363 à 365, dictionnaire d'auteurs
Critiques
Voilà donc le numéro 3 de la (nouvelle) revue Fiction, après un numéro 2 excellent si on fait abstraction des traductions des deux meilleures nouvelles de l'opus (Ian R. MacLeod massacré par Sophie Dabat, Paolo Bacigalupi pulvérisé par Noé Gaillard). Un numéro 3, donc, paru en mars, qui arbore une très chouette couverture de Lewis Trondheim et contient, heureusement, que deux textes absolument sans intérêt : « Dans la contemplation » de Julien « Daylon » Bouvet, immature et abscons, évoquant vaguement deux des nouvelles de David Calvo rassemblées dans son recueil plein de coquilles Acide organique (même éditeur) ; « Incident au déjeuner des canotiers » de Allen M. Steele, pochade ambiance « histoire de l'art » même pas marrante à la chute tellement téléphonée qu'elle pourrait être sponsorisée par Orange™ ou le 118 218. On trouvera aussi au sommaire toute une série de textes moyens, car sympas sans plus, dont les cinq petits textes de Jeffrey Ford, cinq longues phrases très pulps, qui n'arrivent pas à la cheville de la moindre des nouvelles de son second recueil The Empire of Ice Cream ; « Navices » de Francine Pelletier et Yves Meynard, certes bien écrit, mais même pas inédit est d'une banalité désespérante (Gene Wolfe en a écrit des dizaines du même tonneau) ; « Magie, marronniers et Maryanne » de Robert Sheckley, une nouvelle tellement apathique qu'elle semble post-mortem (sans parler de la traduction de Sophie Janod, toute pourrie). Le texte de Esther Friesner, lui, entre dans une autre catégorie, celle des nouvelles passionnantes mais ratées ; à noter que cette uchronie datant de 1992 annonçait étonnamment le roman Rihla de Juan Miguel Aguilera (Friesner avait là le sujet d'un bon roman, Aguilera l'a prouvé à sa place, elle en a fait une nouvelle peu satisfaisante ; ça peut arriver à tout le monde). Voilà pour le prout, le bof et le raté.
Reste le meilleur qui, il faut bien le dire, occupe la plus grosse partie de ce Fiction n°3. Tout d'abord Vandana Singh pour une visite fantomatique (et S.F) de « Dehli », un texte très profond qui dresse un portrait hallucinant (il n'y a pas d'autres mots) de l'Inde et répond, sans doute sans le vouloir, au « Calcutta, seigneur des nerfs » de Poppy Z. Brite (in Contes de la fée verte). Viennent ensuite Jim Dedieu et Laurent Queyssi qui réécrivent à la sauce X-files l'épopée des Pixies. Résultat, leur « Planet of sound » oscille entre le très sympathique et le franchement jubilatoire, en tout cas c'est une excellente surprise au moment où sort, chez le même éditeur, le premier roman de Laurent Queyssi Neurotwistin'. Autre formidable texte : « La nuit où ils ont enterré Road Dog » de Jack Cady, une novella typiquement « américaine » que j'avais mise au sommaire de mon anthologie Les Continents perdus, avant de la remplacer quasiment à la dernière minute par « Le train noir » de Lucius Shepard (qui avait plus besoin d'argent que Cady, décédé en 2004) ; on en profitera pour noter la très bonne traduction de Lionel Davoust, qui n'a pas dû s'amuser tous les jours vu la complexité de ce texte qui parle principalement de vieilles guimbardes yankees.
Côté fictions, la revue finit en feu d'artifice, avec un très bon texte de pure SF de Mary Rosenblum (d'ailleurs, je commence à me demander s'il y a des mauvais textes de cette autrice, car tout ce que j'ai lu d'elle jusqu'à ce jour m'a plu et le plus souvent impressionné) et une novella de Jerry Oltion où il est question de fusées Saturn V fantômes et d'un dernier/nouveau alunissage, un texte plein d'émotions, d'une puissante nostalgie, qui, malheureusement, a pas mal souffert à la traduction (Sophie Dabat a encore frappé, et si elle veut persévérer dans la traduction il va falloir qu'elle se mette GRANDEMENT à l'étude de l'anglais et du français).
Pour ce qui est de la non-fiction, la revue nous réserve deux gros morceaux tout simplement passionnants ; un excellent article de Serge Lehman sur Oui-Oui, Nietzsche et la définition de la science-fiction, ainsi qu'une longue (c'est rien de le dire) interview de Ursula K. Le Guin que même un non-LeGuiniste de mon genre ne peut trouver que formidable.
Comme d'habitude, Francis Valéry achève (bang bang, you shot me down) ce numéro avec ses « Carnets rouges ». Tout ce qu'il dit sur la littérature va du passionnant à l'intéressant (y compris quand il écorche mon rewriting d'Un cas de conscience de James Blish). Quant à ce qu'il raconte sur Francis Valéry, sa vie, son œuvre, c'est franchement mois intéressant (même pour ceux qui le connaissent un peu ou plus que cela), mais bon, pour une fois, face à son militantisme, sa mauvaise foi au service de la bonne cause, on ira presque jusqu'à le pardonner.
Ce Fiction est un très bon numéro (un chouia moins percutant que le n°2), mais pitié les gars, de temps en temps publiez un truc qui déménage, qui arrache les portes de leur gonds, où ça gicle un minimum, parce que ce troisième opus c'est « Bergman et Mizoguchi évoquant l'imaginaire lors d'un pique-nique aux huîtres rincées et à la verveine froide » ; à l'époque de Quentin Tarantino, du viagra et de Takashi Miike, tant de contemplation, d'élan moral, de nostalgie et d'amour courtois laisse pantois. Comme chantait l'autre : « j'veux du cuir ». Et plus, si affinités.
L'édition française de Fantasy and Science Fiction, ressuscitée sous forme d'anthologie, poursuit sur son élan. Si le numéro 1 m'avait surpris en faisant la part belle à la SF, celui-ci se distingue par la publication de deux longs récits couronnés par le prix Nebula, tous deux relevant du fantastique. Règles de cette rubrique obligent, je dois signaler que, si dans cette livraison la SF n'est pas majoritaire, elle fait sentir sa présence tout le long du numéro.
Dans une revue-anthologie qui n'accorde aux chroniques qu'une portion congrue (mais de qualité : Francis Valéry passe en revue la production éditoriale avec brio, et griffes rentrées), on notera deux longs articles : une entrevue fouillée avec Ursula Le Guin (qui aborde bien des sujets) et la réédition d'un étonnant article de Serge Lehman paru dans la revue universitaire Cycnos, à la fois théorie de la SF et plongée dans ses démons personnels. Les nouvelles de SF vont du classique bien tourné (Mary Rosenblum pour le space opera moderne, Allen Steele pour le paradoxe temporel bien tempéré, Francine Pelletier et Yves Meynard, avec Navices, paru il y a dix ans dans Solaris (une civilisation qui a oublié la technologie effleure ses cousins spationautes) jusqu'aux lisières du genre (Esther Friesner, uchronie cultivée et humoristique, Dedieu & Queyssi, flying saucer rock'n'roll remis au goût du grunge).
Comme souvent dans la SF d'aujourd'hui, flotte donc un parfum de nostalgie. Même ambiance côté fantastique. Parfum poignant dans le cas du texte de Sheckley, qui fait reposer sur la magie une intrigue du genre de celles qui avaient fait le succès de sa SF quarante ans auparavant — l'hommage est bienvenu. Parfum entêtant chez les deux « Nebula » sus-mentionnés. La nuit où ils ont enterré Road Dog, de Jack Cady, est conté en réminiscences, se promène entre les années 1950 et 1960, et met en scène des collectionneurs de vieilles voitures. Sans surprise, c'est une histoire de fantôme — admirablement troussée. Fantôme encore dans Abandonné sur place de Jerry Oltion, plus mécanique encore : celui d'une fusée Saturn V prête à emporter un équipage sur la Lune. Idée superbe, Exécution un peu linéaire, torrents de larmes garantis sur la NASA d'antan (et c'était avant le désastre de Columbia !)
On attend d'une revue qu'elle surprenne, aussi. Au menu, deux nouveaux venus, un Français, Julien Bouvet, une Indienne installée aux USA, Vandana Singh, donnent des textes de bonne tenue (celui de Singh, histoire de rencontres intertemporelles relevant plus du fantastique que de la SF, se distinguant par son cadre). Et les à-côtés qui donnent au recueil son goût spécifique, portfolios d'illustrations démodées, textes ultra-courts (et décapants) de Jeffrey Ford, éditorial d'André-François Ruaud. Beaucoup de bon, rien de mauvais.