Après
Pollen et
Vurt (cf. nos critiques dans les
Bifrost 7,
11 et
43), c'est avec une passion qui confine à l'abnégation que la Volte poursuit son exploration d'un des auteurs britanniques les plus originaux et intéressants qui soit. Et tout comme l'éditeur l'avait fait en mai dernier avec
Jacques Barbéri (cf. notre focus in
Bifrost 51), ce n'est pas un, mais deux livres signés Jeff Noon qui sortent ce mois-ci. Un roman tout d'abord —
NymphoRmation — , et une étonnante collection de nouvelles rassemblées sous le titre astucieux de
Pixel Juice.
[...]
1 On pouvait dès lors se demander comment un tel univers était transposable sur un format plus court.
Pixel Juice nous apporte une réponse des plus satisfaisante.
Sous ce titre détonnant se cache un recueil de nouvelles brillamment composé. Non seulement on y retrouve la cohérence de l'univers de Noon, mais on y voit s'en dessiner la genèse. Comme une expérience de chimie qui précipiterait un composé complexe, pour ne laisser que les dépôts des matières élémentaires le constituant. L'absurde tout d'abord, comme dans «
Absolu », l'une des nouvelles d'ouverture, avec cette quête de perfection qu'un des protagonistes va chercher au fond d'une bouteille de soda ; ou dans «
Spécimens », et ces mystérieuses cages qui viennent entraver la circulation d'une ligne de tramway du centre de Manchester. Un absurde qui va parfois se nicher dans un sordide drolatique. C'est le cas de «
Mini Mac », récit à la première personne d'un enfant de dix ans qui se retrouve à la tête d'un réseau de prostitution.
A ce non-sens
so british, s'ajoute cette poésie de l'étrange, qui baigne littéralement une nouvelle comme «
Pour ouvrir le coffre de la nuit », où Noon décrit un étrange rituel de suicide par les mots qui met en péril la jeunesse mondiale. Un fantastique qui lorgne aussi parfois vers le classicisme. Rien d'étonnant de la part d'un auteur qui a fait ses premières armes avec une adaptation
cyberpunk du
Jardin des supplices du français
Octave Mirbeau. C'est sans doute ce qui explique l'atmosphère très XIX
e de «
La Machine à charisme », qui n'aurait — presque — pas déparé sous la plume d'un
Villiers de l'Isle Adam.
Puis enfin, pour que l'alchimie soit complète, rajoutons cette anticipation parfois glaçante, comme dans «
Mister Pixel », avec sa jeunesse en déshérence qui fait sombrement écho aux problèmes de la société anglaise d'aujourd'hui, et à la réponse sécuritaire qu'elle y oppose. Etrange impression aussi que celle laissée par la lecture d' «
Homo Karaoké », où Noon met en scène des duels à mort de disc-jockeys. Et toujours, toujours cette ouverture vers un merveilleux dégradé, déglingué, qui entaille le quotidien pour se glisser dans notre imaginaire, et y faire vibrer quelques notes discordantes. Car Noon aime décontenancer. Il n'est pas un écrivain du Beau. Plutôt un esthète du profane qu'il reforge à sa convenance. Comme s'il préférait y voir des choses que nous n'y voyons pas.
Recycleur inspiré, écrivain rare, il signe avec
Pixel Juice un petit bijou insolite, où s'inscrivent en filigrane les angoisses de notre époque. Noon hume l'air du temps. Cet air empeste l'ordure, la charogne et la sénescence, mais lui préfère ne sentir que la fragrance surie de la fleur qui a eu la persévérance incongrue d'éclore ici et maintenant. C'est sans doute cette même persévérance qui pousse la Volte à publier un auteur aussi délicieusement déroutant. Et lorsqu'on demande à Mathias Echenay, son éditeur, les raisons de son acharnement, il répond avec un sourire en coin : « Parce qu'il me semble évident que cet auteur doit exister chez nous. » Comme il a raison !