« Je parvins un jour à une roule qui vagabondait en accordant si peu d'attention à son but qu'elle convenait parfaitement à mon humeur. » Ainsi commence « Le Seigneur des villes », l'avant-dernier conte de L'Épée de Welleran — précieux recueil qui mêle avec déchirement les mondes imaginaires pétris de Bible et d'Iliade chers au rêveur Dunsany, et les noires contingences du réel. Les amoureux des deux « Livres des merveilles » entreront dans L'Épée de Welleran comme en une maison familière aux trésors toujours renouvelés.
Les nouvelles du maître irlandais n'ont jamais la pesanteur d'une épopée : qu'elles parlent de cités trop riches pour leur bonheur, de fantômes, de vents contraires, d'elfes ou de guerriers morts qui défendent en rêve leurs remparts, elles sont autant de visions fugitives sur la route errante de l'écrivain. Chaque nom, chaque créature, chaque histoire ajoute une épaisseur supplémentaire au monde de Dunsany, terre aussi ironique qu'onirique. Miracle du livre — ou des livres : ces visions fragiles, le lecteur peul les retrouver à tout moment, et, comme l'héroïne du « Peuple des elfes » vivre à demi dans les rêves. Avec L'Épée de Welleran, Terres fantastiques poursuit une aventure éditoriale singulière, riche déjà du Livre des merveilles, du Dernier livre des merveilles, des Dieux, de Pegana et du Temps et les dieux.
Edward John Moreton Draw Plunkett, XVIIIe baron Dunsany, naît en 1878 à Londres dans une vieille famille irlandaise. IL fera ses études à Eton, puis à Sandhurst, le « Saint-Cyr britannique ». Mais la carrière de la plume prévaut sur celle des armes et Lord Dunsany se lance à corps perdu dans l'écriture. Professeur, journaliste, conférencier, il particpera également activement au développement de l'Abbey Theatre avec son ami W. B. Yeats. Son œuvre, encore mal connue en France, puise sa force aux sources de la mythologie celtique. Il meurt en 1957, reconnu par de nombreux auteurs, parmi lesquels le flamboyant H. P. Lovecraft, comme un des maîtres de la littérature fantastique.
1 - Max DUPERRAY, Préface, pages 7 à 18, préface 2 - L'Épée de Welleran (The Sword of Welleran), pages 21 à 36, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 3 - La Chute de Babbulkund (The Fall of Babbulkund), pages 37 à 52, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 4 - Les Cousines du peuple elfin (The Kith of the Elf-Folk), pages 53 à 68, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 5 - Le Bandit de grand chemin (The Highwayman), pages 69 à 74, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 6 - Dans le crépuscule (In the Twilight), pages 75 à 80, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 7 - Les Fantômes (The Ghosts), pages 81 à 87, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 8 - Le Tourbillon (The Whirpool), pages 89 à 91, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 9 - La Tornade (The Hurricane), pages 93 à 94, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 10 - La Forteresse invincible, sauf par Sacnoth (The Fortress Unvanquishable, Save for Sacnoth), pages 95 à 112, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 11 - La Reine des villes (The Lord of Cities), pages 113 à 119, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 12 - Le Châtiment de La Traviata (The Doom of La Traviata), pages 121 à 124, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL 13 - Sur la terre ferme (On the Dry Land), pages 125 à 127, nouvelle, trad. Anne-Sylvie HOMASSEL
Critiques
Après Le Livre des Merveilles, Le Dernier Livre des Merveilles, Les Dieux de Pegãna et Le Temps et les dieux, ce cinquième recueil de Lord Dunsany à paraître aux éditions Terre de Brume reprend le sommaire d'un livre publié en 1908 à Londres : douze nouvelles, dont quatre inédites en français et huit devenues quasi introuvables.
Il s'agit cette fois d'un recueil peu homogène comportant des textes de tonalités assez diverses. L'onirisme épique de L'épée de Welleran — songe d'une cité protégée par ses guerriers défunts — cède la place à l'orientalisme magique de La Chute de Babbulkund — description d'une Ville de Merveille, sculptée à même une montagne. La fable lumineuse des Cousines du peuple elfin — où une « Chose Sauvage » se dote d'une âme pour côtoyer les hommes avant de souhaiter revenir à sa nature première — s'assombrit bien vite au contact du Bandit de grand chemin — où trois gredins libèrent l'âme d'un pendu. L'ultime rêverie de Dans le crépuscule — les visions et les souvenirs d'un noyé — est troublée par la lutte de la raison contre le surnaturel des Fantômes — où le recours à la géométrie se révèle d'un précieux concours.
De même, à des récits-poèmes de seulement deux ou trois pages, comme la confession du Tourbillon qui ensevelit les navires ou la détresse de la Tornade trahie par le Tremblement de terre, succède une longue nouvelle d'heroic fantasy qui montre comment La Forteresse invincible, sauf par Sacnoth, est vaincue — par Sacnoth bien sûr...
Pourtant, malgré cette diversité, les récits de Lord Dunsany se distinguent par leur atmosphère, qui prime toujours sur l'intrigue. Le lecteur qui ne jure que par les romans d'action échevelés ou les grandes sagas tumultueuses ne trouvera évidemment pas son bonheur dans ces contes sensibles et délicats. Pour apprécier Lord Dunsany, il faut s'abandonner aux visions romantiques d'un rêveur sentimental et nostalgique, des visions parfois simples, souvent douces et chatoyantes, mais pourtant marquées par la mort, la destruction et l'échec, et qui témoignent, comme le souligne Max Duperray dans sa préface, « d'une leçon ancienne : celle de la vanité des ambitions humaines ».
Ceux qui ont aimé Le Livre des Merveilles prendront ainsi beaucoup de plaisir à découvrir ce nouveau recueil, car ils y retrouveront la couleur et la saveur si particulières des écrits d'un étonnant précurseur de la Fantasy moderne.