Comment expliquer l'universalité du succès de Harry Potter et la fascination qui s'empare de ses millions de lecteurs ? Cet essai repère dans les contes et légendes, dans la mythologie, le récit biblique et l'histoire contemporaine, les sources qui ont inspiré Joanne K Rowling. Conçu comme un palimpseste où se superposent plusieurs couches de références, son texte est à la jonction d'un passé commun à tous les peuples. Mais, pour parler des hommes et de leurs défauts, pourquoi avoir choisi l'univers de la sorcellerie, avec tout ce que la présence de fantômes et de devins peut receler de trouble ? Cette « double contrainte » aurait-elle une fonction ? Isabelle Smadja y voit un habile procédé destiné à pénétrer l'inconscient de l'enfant en échappant à la censure : elle analyse alors les désirs secrets, parfois inavouables, satisfaits par l'œuvre. Enfin, à travers l'étude des valeurs que transmet Joanne K Rowling, elle répond à cette question : à quel monde rêvent nos enfants ? Dans ce conte de fées moderne qui fonde sa morale sur un souci écologique et sur une rationalité empreinte d'humanisme et de non-violence, le combat entre le Bien et le Mal peut mener au devoir de désobéissance.

     Avec cet essai, Isabelle Smadja — mère de quatre enfants, docteur en esthétique et agrégée de philosophie — tente d'expliquer l'universalité du succès de Harry Potter, « non pas tant les raisons du succès (...) que les raisons du charme ou de l'ensorcellement. » Première constatation et non des moindres, l'auteur est elle-même une grande fan de l'œuvre de Joanne K. Rowling et cela se sent tant dans l'étude de l'histoire et des personnages que dans la volonté de se mettre au niveau des lecteurs en usant d'un langage simple, attrayant et dénué de tout jargon. La lecture en est facilitée ; les idées, réflexions et démonstrations portent immédiatement et le lecteur en éprouve un intense plaisir intellectuel.

     Divisé en quatre grands chapitres (1. Contes de fées, mythes et légendes, la sorcellerie à l'enseigne de la modernité — 2. Fonction esthétique de la magie — 3. Une lecture psychanalytique : le complexe d'Œdipe et sa résolution — 4. Valeurs du bien, valeurs du mal, la fonction pédagogique), l'ouvrage se propose de démontrer que Harry Potter est bien un conte de fées moderne inscrit dans une tradition de légendes et de mythes universels. Isabelle Smadja va plus loin en mettant en lumière la morale du conte, ses implications psychanalytiques, esthétiques et pédagogiques. Elle prouve la justesse de la définition de Bruno Bettelheim qui écrit : « L'enfant a besoin qu'on lui parle des événements de tous les jours, mais en les situant au royaume de l'imaginaire, pour ne les ramener qu'à la fin au quotidien. C'est ce qu'il y a de plus difficile à écrire, il y faut un grand artiste. »

     C'est en opposant ces définitions à de nombreuses citations tirées des quatre romans de Rowling, en analysant en finesse, avec une intelligence rare et une volonté de rester accessible au plus grand nombre, que l'auteur parvient en 134 pages à donner une vision très claire des différents niveaux de l'œuvre de la romancière anglaise, à proposer des pistes de réflexion tout à fait inattendues pour le lecteur « lambda », mais aussi, et ce n'est pas le moindre des mérites de l'ouvrage, à donner envie de relire avec un autre œil, avec une curiosité intellectuelle avivée, l'ensemble des romans. Harry Potter, les raisons d'un succès est un essai réussi et brillant. Lorsque plaisir et culture font bon ménage, le résultat ne peut décevoir, même le lecteur le plus réfractaire aux études littéraires.