Le personnage de Ahasvérus, le Juif Errant, est de ceux qui hantent les romanciers. Volontiers, ils lui donnent des proportions gigantesques : celles d’un démon foudroyé qui se mesure avec les cieux. Dumas père en fait un Satan humain, le génie du mal de l’histoire. Et ne disons rien de Sue, Quinet et des autres. Quant aux auteurs anglo-saxons, ils l’enferment dans un conte, mais prolongent son errance dans le cosmos entier.
Marc Agapit a pris le contrepied de ce poncif. Il en fait un anti-héros selon la mode de notre temps. Son Monsieur Personne n’est rien qu’un pauvre vieil homme usé qui erre dans le monde avec de faux passeports, qui jette l’or à la mer ou dans le ruisseau et marche à la recherche d’un coin pour mourir.
Cependant sa formidable puissance le suit, cachée dans son ombre, et l’entoure toujours de la terreur, de la maladie et de la mort. Finalement il mourra, ou fera semblant, mais saint Pierre en personne viendra l’arracher à son repos pour le relancer sur la route. Et, dans l’ombre de la crypte, un dialogue étrange s’engage. Le pardon est là, et repoussé. Encore une fois nous sommes aux antipodes du révolté luciférien qui brave la puissance et défie. Ce pardon est repoussé par lassitude ; être pardonné signifie entrer par la mort dans la vie éternelle, c’est-à-dire vivre encore et à jamais, alors que cette âme n’a soif que de néant, et qu’il le rencontre dans les rares haltes que lui permet sa malédiction.
Dans la nudité du récit, dans le refus de hausser la voix, nous avons là un des meilleurs romans de la collection, et qui rend un son étrange. En général, dans le domaine fantastique, le métaphysique est absent si le métapsychique pullule. À croire que toute cette mythologie enfantée par tant d’auteurs a pour seul but de multiplier les masques entre l’homme et le mystère.
Jacques VAN HERP
Première parution : 1/9/1967 dans Fiction 166
Mise en ligne le : 5/11/2022