La science-fiction de John Kessel dénonce les prophètes d'Apocalypse. D'une actualité brûlante.
Bonnes nouvelles de l'espace
Ils ont tort, ceux qui ne voient dans la science-fiction qu'un passe-temps gratuit, détaché de la réalité. Parfois le futur rejoint à point nommé le présent.
« Bonnes nouvelles de l'espace », de l'Américain John Kessel, n'a rien d'un roman d'évasion. Cette anticipation à court terme (la veille de l'an 2000) a pour décor une Amérique déglinguée, où se sont exacerbés tous les maux du siècle qui s'achève : chômage, drogue, épidémies, violence urbaine et misère.
Cette société gangrénée devient le terrain de chasse idéal des prophètes de tout poil. Les masses désemparées accueillent avec dévotion les prédicateurs millénaristes qui annoncent la venue du Messie ou l'invasion des extra-terrestres. Partout, l'on voit des OVNIs et des anges. Des voix ou des messagers divins se font entendre. Meurtres ou sacrifices rituels défrayent chaque jour la chronique. La science et les valeurs démocratiques, battues en brèche par la crise qui refuse de prendre fin, font place au fanatisme religieux et aux croyances les plus débridées.
Les protagonistes du roman vivent, chacun à leur manière, cette montée tragique de l'obscurantisme. Il y a Georges Eberhart, journaliste à sensation, qui collectionne les faits divers troublants à la manière de Charles Fort, afin de démontrer que la planète est devenue le jeu de forces occultes qui la mènent à sa perte. Il y a le révérend Gilray, télévangéliste à la mode, dont l'ambition est de construire un terrain d'atterrissage pour la Jérusalem Céleste. Il y a le cynique Richard, qui organise sans y croire la croisade du révérend et, enfin, Lucy, la femme de Georges, devenue malgré elle l'instrument d'un groupuscule terroriste.
Tous ces personnages avancent dans le récit comme des grains dérisoires dans l'engrenage d'un broyeur. Ce ne sont plus des personnes, mais les victimes de mouvements de foules, des ludions ballotés par le destin collectif, hypnotisés par l'imminence de la fin des temps.
John Kessel livre une analyse lucide des mécanismes psychologiques qui amènent des individus à sacrifier leur vie ou leur intégrité mentale à l'irrationnel. Un contexte social et économique défavorable en est le premier facteur. L'acharnement des médias à asséner sans recul au public une avalanche de nouvelles extraordinaires participe d'autre part à l'érosion de la raison critique et fait revenir au galop les plus folles superstitions. Puis viennent les motivations particulières : les carences affectives de l'enfance, qui appellent la protection d'un gourou ; les pulsions suicidaires, la foi rendue aveugle par la paranoïa, l'égoïsme ou la désillusion.
L'écrivain américain lance un avertissement autant qu'un cri d'espoir. Le livre s'achève non sur l'Armageddon sanglant attendu par les prophètes de malheur, mais par un retour à la réalité de la vie. « Il y a des choses plus importantes que la fin du monde », finit par déclarer un des personnages. Au vu de l'actualité, c'est une leçon de prix.
François ROUILLER (site web)
Première parution : 7/10/1994 24 heures
Mise en ligne le : 10/11/2000