SCYLLA
(Paris, France) Date de parution : 2 février 2020 Dépôt légal : décembre 2019 Première édition Recueil de nouvelles, 208 pages, catégorie / prix : 20 € ISBN : 978-2-9560095-0-4 Format : 15,0 x 20,0 cm✅ Genre : Fantastique
Recueil sans équivalent en langue anglaise, reprenant 6 des seules 15 nouvelles écrites par l'auteur et regroupées dans un recueil publié en 2002 (Feesters in the Lake & Other Stories) ; parmi ces 6 nouvelles, 2 sont inédites. L'ouvrage a bénéficié d'un financement participatif, pour lequel ont été créés, en plus du livre, 2 marque-pages, 4 cartes postales, 3 badges, un carnet de notes (3ème et 4ème scans ci-contre), et un décapsuleur, lequel peut servir à ouvrir les bouteilles de la bière également brassée pour ce crowdfunding.
Les pages 188 et suivantes sont consacrées au catalogue des éditeurs distribués par l'association Dystopia (Scylla, Dystopia, Le Visage Vert et Les Règles de la Nuit).
Les exemplaires liés au financement participatif ont été distribués en décembre 2019 mais le livre est sorti en librairie en février 2020.
1 - Xavier VERNET, Préface en guise de remerciements, pages 5 à 7, préface 2 - La Saison du ver (The Time of the Worm, 1988), pages 11 à 34, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL 3 - La Quête de Clifford M. (The Pilgrimage of Clifford M., 1984), pages 37 à 62, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL 4 - Les Créatures du lac (Feesters in the Lake, 1980), pages 65 à 104, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL 5 - Odila (Olida, 1987), pages 107 à 138, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL 6 - Loob (Loob, 1979), pages 141 à 167, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL 7 - Viens là où mon amour repose et rêve (Come Where My Love Lies Dreaming, 1987), pages 169 à 185, nouvelle, trad. Nathalie SERVAL
Critiques
Bob Leman – inconnu au bataillon. Il faut dire que cet auteur, décédé en 2006, n’a jamais publié qu’une quinzaine de nouvelles – dont une bonne dizaine avait en son temps eu droit à des traductions françaises dans Fiction, cela dit. Mais il avait été largement oublié depuis. Pas par tout le monde, heureusement : une intégrale en anglais a été publiée, et un lecteur français enthousiaste, qui avait gardé un excellent souvenir de ses lectures des années 1980, a suggéré aux éditions Scylla d’y jeter un œil : le projet d’un recueil comprenant les six nouvelles prenant pour cadre la petite ville de Sturkeyville (dont certaines inédites en français) est ainsi né. Un nécessaire financement participatif plus tard, le livre est sorti – bel ouvrage illustré par Stéphane Perger et Arnaud S. Maniak, et joliment traduit par Nathalie Serval.
Sturkeyville, donc, est une petite bourgade au pied des montagnes – un microcosme des États-Unis, qui pourrait, ailleurs, s’appeler Castle Rock ou Twin Peaks (ou Arkham). Rien d’une métropole, mais un semblant d’industrie a constitué le pôle autour duquel tout le reste tournait, et la ville était assez prospère, dominée par une gentry affichant avec narcissisme sa propre bienveillance. Ou pas tout à fait. Mais ça, de toute façon, c’était avant. Pour tout un tas de raisons (dont les plus fascinantes sont exposées dans la nouvelle « Loob », probablement le sommet du recueil, qui voit un géant simplet très sturgeonien faire bifurquer l’histoire dans le passé, à moins que sa responsabilité dans cette affaire ne soit qu’une hypothèse paranoïaque de déclassée), la ville a périclité, l’industrie l’a désertée : Sturkeyville, c’est ici l’histoire d’une déchéance.
Laquelle constitue un thème obsessif, qui se traduit souvent dans le recueil par des tragédies familiales. Ici, nous suivons un vampire curieux de son espèce et de son ascendance – ce qui ne peut que mal finir. Là, les excursions polynésiennes d’un ancêtre produisent les résultats que l’on est en droit d’attendre dans « le domaine Phillips […] en bordure du lac d’Howard ». Là-bas, la consanguinité white trash illustre plus que jamais la réalité sordide de la décadence, et du mal – avec comme signe révélateur récurrent une hygiène déplorable.
Tout cela évoque passablement Lovecraft —nul Grand Ancien ici pourtant, l’épouvante est plus matérielle que cosmique ; même si cette famille sous la coupe d’un ver, dans la nouvelle introductive, pourrait avoir une autre opinion à ce propos. En même temps, tout en développant une voix qui lui est au fond propre, Bob Leman explore d’autres références – dont, peut-être tout spécialement, Shirley Jackson, notamment dans la « maison hantée » de la dernière nouvelle. Et si la plume de l’auteur véhicule quelque chose d’anachronique, Stephen King est peut-être pourtant là, en embuscade – car tous ces auteurs, en racontant des histoires fantastiques riches en frissons, livrent en même temps des portraits sur le vif mais pas moins précis de la société américaine, dont la petite ville faussement tranquille synthétise les rancœurs et les échecs. Tout le monde y connaissant tout le monde, chacun a sa part dans les malheurs de la communauté – un constat navrant qui ne trouve une bizarre échappatoire que dans le constat plus navrant encore de l’impuissance généralisée.
L’ensemble constitue un recueil horrifique au charme certain – Bob Leman savait assurément raconter une histoire, poser un cadre comme des personnages –, une réussite indéniable. Bref, nous voici en présence d’une exhumation inattendue et pleinement justifiée, un beau projet qui mérite qu’on s’y attarde, de même que Bob Leman méritait qu’on se souvienne de lui et de son œuvre. Le boulot est fait.
Sturkeyville, son église, son lycée, ses hôtels, sa fonderie aux patrons paternalistes, ses petits manoirs victoriens qui abritent les notables de la ville, ses ouvriers honnêtes et travailleurs, ses étangs et ses collines...
Mais aussi ses vers télépathes, ses monstres du lac, ses maisons hantées et ses vampires.
À travers six nouvelles, Bob Leman décrit une petite ville des Appalaches du nord entre le XIXe et le XXe siècle. Un peu comme Sunnydale bâtie sur la bouche de l’enfer, Sturkeyville semble avoir été construite sur un lieu propice à l’apparition de monstres, aux mutations et dégénérescences les plus épouvantables, aux malédictions qui se transmettent de génération en génération.
Ces textes se situent quelque part entre Lovecraft et King. Du reclus de Providence, on retrouve certains thèmes familiers (il y a du Profond dans les filles Feester des Créatures du lac et les rednecks de Grill’s Fork n’ont rien à envier à certains adorateurs des Grands Anciens) et l’ambiance étouffante d’une bourgeoisie de province étriquée, confite dans un entre-soi quasi incestueux depuis des générations.
Mais, comme chez l’auteur de Shinning, l’histoire est racontée au plus près des protagonistes et l’horreur est d’autant plus grande qu’elle frappe des personnages dont on connaît les sentiments et partage l’intimité.
On peut aussi trouver une familiarité avec Philip K. Dick dans la très belle nouvelle Loob où un esprit dérangé, mais ô combien humain, fait diverger la réalité elle-même. Ce texte là, en particulier, est remarquablement construit.
L’écriture de Bob Leman est très agréable, à la fois simple et élégante mais d’une redoutable efficacité. Dans la plupart des nouvelles, on plonge très vite dans le fantastique et dans l’horreur, à l’instar du début de la Saison du ver qui, en quatre paragraphes percutants, transporte le lecteur de l’étrange au surnaturel, du cocasse à l’abominable.
Les six nouvelles qui composent le recueil Bienvenue à Sturkeyville sont une très belle découverte. Le fantastique qui s’y déploie semble familier mais Bob Leman possède sa propre patte, un style et une voix personnels. Si on ajoute à ça la beauté du livre et de ses illustrations intérieures, on comprend qu’un détour par Sturkeyville s’impose.