Lino ALDANI Titre original : Quando le radici, 1977 Première parution : Italie, Piacenza : Casa Editrice La Tribuna, Science Fiction Book Club n° 49, janvier 1977ISFDB Traduction de Jean-Claude MANGEMATIN Illustration de Stéphane DUMONT
DENOËL
(Paris, France), coll. Présence du futur n° 260 Dépôt légal : 3ème trimestre 1978, Achevé d'imprimer : 12 juin 1978 Première édition Roman, 256 pages, catégorie / prix : 2 ISBN : néant Format : 11,0 x 18,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
L'Italie en 1998.
Une industrialisation galopante a rayé de la carte villes et villages pour leur substituer des mégapoles démesurées et inhumaines. Les gens s'y ennuient, voués à des travaux et des plaisirs mécaniques.
Ils ont oublié le goût du pain, le parfum d'une fleur. Les suicides se multiplient.
Au milieu de cet enfer, un jeune homme, Arno, décide de retourner dans son village natal, oasis miraculeusement épargnée, mais pour peu de temps.
Il le trouve peuplé de vieillards et rêve d'y amener la femme qu'il aime.
Mais comment l'arracher à son apathie et aux plaisirs de pacotille qu'elle s'est inventés pour survivre ? On découvrira avec intérêt dans ce roman une sience-fiction intimiste, très enracinée dans la terre italienne et, somme toute, fort proche de nous.
L'auteur.
Lino Aldani est né le 29 mars 1926 en Italie.
Professeur de mathématiques, il a fondé en 1963 avec Massimo Lo Jacono Futur, la première et unique revue entièrement consacrée à la science-fiction italienne.
En automne 1968, il a abandonné la ville pour se vouer à l'agriculture.
Après un long silence, il a recommencé à écrire. Présence du Futur a déjà publié de lui un recueil de nouvelles, Bonne nuit, Sophia.
Critiques
On a pu dire ou penser de ce roman qu'il n'était pas de la science-fiction. On a pu dire ou penser de ce roman que l'imagination y faisait défaut. Mais la science-fiction n'est-elle pas, comme l'est ce roman, une interrogation sur notre présent ? Mais le thème lui-même du retour à la terre au sens actuel — et non SF — du terme ne constitue-t-il pas en quelques sorte une Première et, donc, une démonstration d'imagination ?
Mais qu'importe ! La valeur d'une oeuvre tient moins à l'étiquette qu'à ce qu'elle porte en elle et Quand les racines draine trop de vérités (et, vérité première, toute la futilité d'une certaine vie urbaine qui conduit du bureau au poste de télé, de la télé au lit et du lit au bureau à travers moult alcools et autres dispensateurs de fausse évasion) pour devoir s'inquiéter des classifications. Arno donc, le « héros » de ce livre, prend peu à peu conscience de l'inanité de son existence, retrouve le souvenir du village de son enfance et tente d'y retourner pour s'y réinstaller.
C'est le récit de ce retour que Lino Aldani déroule à la manière d'un chemin de croix. Au bout : la fuite puisque le rêve y devient impossible.
Oeuvre réactionnaire : peut-être, mais dans la seule mesure où elle s'oppose à un progrès qui ôterait à l'homme sa réalité ancestrale et toute vraie attache à la réalité de la planète. Oeuvre engagée : sans aucun doute puisqu'elle peint les travers d'une société entraînée dans un processus de désagrégation culturelle. Oeuvre intimiste parfois, lucide continuellement et bouleversante jusqu'à un point proche du désespoir. Livre au service de l'homme et de la nature, et qui se garde bien des redoutables idéologies.
La publication en France d'un roman italien (ou espagnol ou allemand, européen quoi !) de science-fiction devrait constituer une manière d'événement. Si mes calculs sont bons, et en excluant des gens comme Buzzati, Calvino, Scerbanenco..., la publication précédente d'un auteur transalpin dans le domaine qui nous intéresse remonte à 8 ans avec Le Monde sans Femmes de Martini. On ne peut pas dire que nos éditeurs s'encombrent. Ce qui est plus grave, c'est qu'un hasard ou une inconcevable malchance ait privé les critiques des habituels « services de presse ». Ce qui est inadmissible, c'est qu'un roman de la qualité de Quand les racines n'ait pas encore été lu et commenté dans les pages d'une revue comme Fiction à la date du 23 décembre 1, soit près de six mois après sa publication. Coup de chapeau au responsable publicitaire de la maison Denoël. Félicitation aux critiques habituels à l'affût des nouveautés et des chefs-d'œuvre.
Car il s'agit bien d'un chef-d'œuvre que ce livre attendu de Lino Aldani, attendu lorsque l'on connaît les qualités d'un écrivain qui s'était plutôt exprimé dans le domaine de la nouvelle (on se souvient surtout de Bonne nuit Sophia) et qu'un changement d'activité avait réduit au silence depuis bientôt dix ans.
Aldani a néanmoins modifié quelque peu son optique. Si la fantaisie, si l'imagination paraissent davantage bridées, la clairvoyance, l'appréhension psychologique et sociale, l'observation méticuleuse ont apporté à ses écrits une force nouvelle qui n'a pas son équivalent dans son pays comme dans le nôtre. C'est un peu comme si Lino Aldani avait franchi cette impalpable barrière qui sépare la production de science-fiction de ce qu'il est convenu de nommer la Grande Littérature. Autrement dit, Aldani est désormais un écrivain. Tout simplement un écrivain. Et il a mis le doigt sur le vrai problème de notre civilisation européenne. La science-fiction, d'accord, à condition qu'elle autorise la prise de conscience : tel pourrait être le nouveau courant que cet auteur incarne.
Quand les racines n'est un roman que par sa forme et par le décalage avec le réel qui est la règle dans la littérature de spéculation, qu'elle soit fiction ou prospective. On pourrait dire que c'est une œuvre autobiographique revue à travers un miroir déformant. C'est en tout cas un formidable cri du cœur, cri d'angoisse, de détresse, S.O.S. au temps présent et aux parents que nous sommes peut-être. Œuvre écologique enfin diraient Bernard Blanc comme Michel Jeury.
D'un côté, les villes, les mégapoles, qui ont vidé les campagnes de leurs occupants. De l'autre, un homme, las de se lever « comme tout le monde », de manger « comme tout le monde », de faire tout « comme tout le monde » et qui entraîne la femme qu'il aime vers ce qui reste de son village natal, c'est-à-dire une dizaine de bicoques occupées par des vieillards. Mais la réadaptation, si elle est difficile pour lui, est impossible pour la femme, assoiffée de plaisirs, de drogue, d'hygiène. Mais l'installation dans un endroit coupé de tout, même d'électricité, ne va pas sans occasionner des drames, minuscules certes mais énormes dans la situation d'Arno. Plus tard viendront les prédateurs humains qui pousseront Arno au pire. En attendant, il fait la connaissance des derniers gitans. Devra-t-il se déraciner définitivement et suivre le peuple nomade ?
Les mots manquent pour dire l'émotion que l'on peut ressentir en dévorant cet ouvrage. Peut-être faut-il, comme l'auteur, avoir un jour jeté au diable diplômes et sécurité et entrepris ce voyage en arrière pour mieux saisir tout le parfum de la liberté. En tout cas, Aldani nous fait deviner ce qu'elle pourrait être, quel simulacre de vie est celle des citadins, et son horizon 2000 a la senteur de l'ammoniaque et la platitude des murs des grands ensembles.
Il faut absolument lire Quand les racines, peut-être le plus beau roman de l'année 1978.