Après l'entretien avec un vampire, voici venir les confessions d'un(e) androgyne. La comparaison ne s'arrête pas là : l'hermaphrodite vide ses victimes de leur force vitale, aspire leurs fluides pour ne laisser que des enveloppes charnelles racornies. Cela vaut des scènes incroyables qui repoussent les limites de l'indescriptible en matière de corps défiguré, dévitalisé.
Cependant, si le texte de Neiderman fascine, c'est qu'il opte pour une fiction intimiste, entre dévoilement impudique et retenue émotionnelle. Clea Cave décide de se livrer — corps et âme — à l'inspecteur Mayer, pour enrayer les agissements meurtriers de son alter ego Richard et l'empêcher de refaire surface. Elle signe ainsi son suicide en tant qu'androgyne, renonçant à jamais au dédoublement de personnalité et de sexe. Or, Clea reste profondément duelle dans son témoignage. Pour bien faire entendre aux oreilles profanes la nature profonde des êtres de sa race, sa part masculine doit s'exprimer. L'écrivain relève avec brio le défi de cette parole « deux en une ». Il jalonne le récit à la première personne d'extraits tirés des lettres et du journal intime de Richard, lus à voix haute par Clea. De la sorte, Neiderman ménage ses effets dramatiques, suspend à sa guise les événements du récit cadre ou ceux des récits enchâssés. Et la magie opère : à partir d'une structure proche du huis-clos — Clea et Mayer ne quittent guère le poste de police et la maison sur Hollywood Hill — l'action est démultipliée, le mythe de l'androgyne atteint l'universel.
Faire parler « les deux faces d'une même essence commune » autorise par ailleurs des développements psychologiques d'une complexité et d'une finesse extrêmes. L'entreprise de Clea s'apparente à une quête de soi, à une tentative de résoudre une crise d'identité dans laquelle « Je est un autre » en puissance et en souffrance. L'androgyne, fût-il supérieur et d'une beauté sans pareil, n'échappe pas alors aux tiraillements humains, aux sentiments d'inaccomplissement. Triste ironie du sort pour l'entité a priori comblée, parfaite !
Dans cette aventure intérieure, spirituelle et sensuelle (que d'étreintes physiques !), on peut regretter une cosmogonie androgyne trop rapidement brossée. Le Mauvais Œil, version originale du Diable qui apparaît dans un coup de théâtre annoncé, n'est en fin de compte guère expressif. Peut-être parce qu'il n'est qu'un figurant de plus dans l'univers de faux-semblants et de masques qui entoure les androgynes, tous plus ou moins impliqués dans la société de spectacle — Shakespeare est souvent cité, c'est dire !
Confessions androgynes est un livre important : vraiment abouti, il donne ses lettres de noblesse fantastiques à un mythe trop peu sollicité.
Guy ASTIC
Première parution : 1/7/1998 dans Ténèbres 3
Mise en ligne le : 12/10/2003