« Je pars, Sandra. C'est décidé. Si Thoreau y est parvenu, je peux le faire moi aussi. La masse des hommes mène des vies d'un désespoir tranquille. Nous ne sommes que les outils de nos outils, assaillis par des armées de nécesseurs. Cette civilisation se base sur les non-cycles et elle est vouée à l'extinction. L'avenir est dans les activités sylvopastorales. » (p.23/24)
Marco, tel un Walden des années 2000, décide de quitter la civilisation occidentale avant son inévitable effondrement. Se définissant comme un « superhéros troglodyte », il se rend dans la forêt voisine pour y habiter une grotte où il posera les fondements d'une nouvelle civilisation. Il sait que son exemple suffira à convaincre l'humanité de le suivre dans ce retour à la nature et à la simplicité. e problème est qu'il y a beaucoup trop de monde dans cette forêt pour que sa retraite soit totalement sereine...
Sans doute affecté par une déprime passagère, Marco est un doux illuminé qui parle volontiers de lui à la troisième personne — il se désigne lui-même comme « le soussigné » — et qui n'a guère les qualités requises pour être un messie convaincant. Se nourrissant péniblement de mûres et de quelques châtaignes, incapable d'allumer correctement un feu, il mènerait sa révolution absolument seul, dans l'indifférence complète des villageois voisins, s'il n'y avait pas un tas d'autres illuminés plus ou moins doux à proximité : Gaïa, une étonnante barmaid radiesthésiste qui sert à boire gratuitement à ceux de ses clients qui acceptent de lire ; les écolo-terroristes qui ont décidé d'exterminer le genre humain en commençant par les chasseurs, le carabinier adepte du survivalisme ; les brutes qui organisent des combats de gladiateurs opposant des hommes à des chiens ; le saint-bernard appelé Charles Bronson et fan des Doors ; etc.
Avec sa galerie d'excentriques Guerre aux humains est une sorte de bouffonneries où les personnages touchent au grotesque tout en demeurant désespérément sérieux et même parfois touchants, comme le pathétique cavernicole Marco : « Aux origines, il y avait des superhéros d'un seul bloc, genre Batman. Puis des superhéros avec des superproblèmes, modèle Spiderman. Maintenant, la dernière frontière : le superhéros qui chie dans son froc. La société de l'incertitude se reflète dans ses paladins. » (p.279) « Cette histoire de superhéros me crée toujours plus de problèmes. Malheureusement, maintenant, je n'ai pas le temps, mais j'aimerais éclaircir la question. Le soussigné est un superhéros troglodyte, où le mot troglodyte est un complément de limitation. Dans une civilisation non cyclique, vouée à la faillite, avec des masses d'individus qui conduisent des vies d'un tranquille désespoir, simples outils de leurs outils, en recherche constante de raccourcis pour le nirvana, eh bien, en tout cela, le soussigné, vivant dans une caverne, se configure comme un superhéros. Mais il ne sait pas escalader les gratte-ciel et ne vole pas plus vite que la lumière et, pour tout dire, n'a pas encore réussi à allumer un feu avec la scie et les silex artificiels. Quand la civilisation troglodyte verra vraiment le jour, le soussigné sera un individu parmi tant d'autres, à peine capable de faire pousser quelques fèves et deux-trois petits plans de marijuana. » (p.281)
Le thème central de cette farce dramatique et réaliste — qui aborde au passage de nombreux problèmes de société tels que le racisme, la misère, la violence... — relève des littératures de l'Imaginaire puisqu'il s'agit de l'utopie — et donc des idéologies qui la sous-tendent. Celle que revendique le héros est une utopie à la Thoreau, comme sur la planète Walden du Fournaise de James Patrick Kelly (Les Moutons électriques). Mais malgré toute la sympathie qu'inspire cet inoffensif excentrique, l'auteur n'est guère tendre avec son idéologie : « Eux, ils aimaient les Nibelungen, d'autres les anciens Romains, et toi, l'homme des cavernes : je ne vois pas de grande différence. Les ancêtres mythiques, l'enfance heureuse, le bon vieux temps d'autrefois. Tout ceux qui croient à ces conneries ont quelque chose de nazi au fond de la coucourde. » (p.114) 'autre lien avec l'Imaginaire, ce sont les extraits de roman de l'écrivain de science-fiction Emerson Krott (un autre Kilgore Trout) qui croit que Dieu ressemble à un gibbon et revisite entre autres le mythe d'Adam et Eve de manière hilarante (p.123 à 125). C'est dans son oeuvre que les écolo-terroristes de l'Armée Madéroise de Révolution Animale puisent leur inspiration :
« UNE SEULE SOLUTION : GUERRE AUX HUMAINS !
Sur la Terre, toutes les formes de vie collaborent à la conservation du milieu. outes sauf une : les humains. Leur principale activité est de détruire la planète. n tel comportement n'a qu'une seule explication : les humains ne font pas partie de ce monde. Dans l'ADN de l'espèce, il y a quelque chose d'extraterrestre. Nous sommes le fruit de la violence de quelques extraterrestres sur les premiers singes. oilà pourquoi dans le code génétique des humains est imprimé en lettres capitales un désintérêt total pour la Terre, sinon un véritable instinct destructif. » (p.91)
Roman étonnant et détonant, très original, déjanté et pourtant rationnel, passionnant comme un thriller, pétillant d'intelligence et d'ironie,
Guerre aux humains mérite vraiment le détour. C'est aussi une excellente porte d'entrée pour découvrir le collectif italien Wu Ming (
wumingfoundation où
wu ming signifie en Chinois « Anonyme » ou « Cinq noms » selon la manière dont on le prononce), à travers notamment l'éclairante préface de Serge Quadruppani (texte disponible sur
le site de l'éditeur).
Lecture très vivement recommandée à ceux qui veulent sortir des sentiers battus !
Pascal PATOZ (lui écrire)
Première parution : 24/11/2007 nooSFere