LE PASSAGER CLANDESTIN
(Lorient, France), coll. Dyschroniques Date de parution : 20 octobre 2022 Dépôt légal : 4ème trimestre 2022, Achevé d'imprimer : septembre 2022 Première édition Novella, 144 pages, catégorie / prix : 14 € ISBN : 978-2-36935-530-4 Format : 13,1 x 20,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
En 1989, Judith Moffett imagine l'impact du sida sur notre société.
Lorsqu'une jeune biologiste découvre qu'elle est séropositive, elle renonce à une brillante carrière et se réinvente en tant que professeure discrète dans une petite ville de Pennsylvanie. Elle espère ainsi garder son secret et survivre jusqu'à ce qu'un remède soit découvert...
Récit d'anticipation publié en 1989 aux États-Unis, Tiny Tango a été nominé pour les prix Hugo, Locus et Nebula. Traduit aujourd'hui pour la première fois en français par Dominique Beilec, il est accompagné d'une postface inédite de l'autrice.
Judith Moffett, née en 1942, s'est d'abord illustrée en tant que poète et est venue tardivement à la science-fiction. Elle s'y fait rapidement reconnaitre par l'obtention du prix John W. Campbell du meilleur nouvel écrivain en 1988.
1 - Postface de l'autrice (2022), pages 113 à 116, postface, trad. Dominique BELLEC 2 - (non mentionné), Synchronique du texte, pages 117 à 133, article
Critiques
À la fin des années 80, une jeune biologiste devient séropositive lors de sa première et seule relation avec un homme, un de ses professeurs. Abandonnant une carrière prometteuse, elle devient enseignante et vit seule, s’occupant en tentant des expériences sur des cultures de melons et de concombres pour les rendre plus fortes face à certaines maladies. Ses seules relations sociales sont le groupe de parole de malades du sida auquel elle participe et l’étudiant qui l’aide à ses cultures, jusqu’au jour où un accident nucléaire voisin la force à tout abandonner.
Deuxième texte inédit de la collection Dyschroniques après Pigeon, canard et patinette de Fred Guichen, Tiny Tango est l’œuvre d’une autrice quasiment inconnue en France (seules trois nouvelles ont été traduites au tournant des années 90). Texte inédit donc, mais aussi foncièrement original : si l’aspect science-fictif, un contact extra-terrestre, est anecdotique, le récit se concentre sur deux thèmes : l’arrivée du sida et la solitude d’une femme dont la vie a été bouleversée par son seul rapport sexuel avec un homme.
Premier texte de science-fiction à parler frontalement du sida selon la postface, Tiny Tango nous donne un éclairage sur la manière dont cela s’est passé aux États-Unis. On se souviendra qu’en France, une peur irraisonnée s’était diffusée sur le sujet, entretenue notamment par l’extrême-droite qui tenta de profiter des circonstances (Le Pen voulait enfermer les « sidaïques », selon son expression, dans des centres fermés, des « sidatoriums »), et l’homophobie de certains se développa au grand jour. Mais ce fut bien pire aux États-Unis, sous la pression des groupes religieux et le refus du gouvernement Reagan de traiter le problème sérieusement. Tiny Tango, par la voix de sa narratrice, nous donne une vision toute différente : la sensation d’être une morte en sursis, de voir sa vie brisée, de se retrouver isolée et de perdre une partie de son humanité. Jusqu’au moment où elle décidera de reprendre contact, d’abord par un moyen assez étonnant puis par sa relation complexe avec l’étudiant qui vient chez elle s’occuper des melons, dont elle découvre à quel point elle tient lorsqu’un accident nucléaire la chasse de chez elle.
Texte profondément humain, Tiny Tango utilise la science-fiction pour nous parler d’une époque qui fut bouleversée par l’apparition du sida. C’est aussi un récit féministe, sur la solitude d’une femme, sur sa manière d’en échapper, de retrouver le contact social, sur l’acceptation de sa condition de malade en sursis. Ce parcours intime est décrit avec finesse et sensibilité et on ne peut que regretter qu’il n’ait pas été traduit plus tôt. Alors remercions le passager clandestin pour cette découverte et espérons que l’éditeur nous apporte d’autres pépites inédites de cette qualité.
La collection« Dyschroniques » continue de nous proposer de courts textes de science-fiction d’un autre siècle, mais toujours d’actualité (ainsi que, désormais, quelques inédits), et cette parution n’y manque pas. Parution qu’il nous aura fallu attendre plus de trente ans pour la découvrir en français, alors que cette novella a été, à sa sortie en 1989, finaliste de plusieurs prix, dont le Hugo et le Nebula.
Ce récit d’anticipation démarre alors que la protagoniste, Nancy, étudiante en biologie, découvre sa séropositivité, contaminée par son professeur et mentor. Elle décide alors de s’aménager une vie la plus éloignée possible du stress, et la plus saine, afin de retarder le déclenchement de sa maladie. Ce faisant, elle renonce à une brillante carrière autant qu’à toute vie sociale, et une partie du récit se concentre sur les mesures prophylactiques que Nancy s’impose, tout en gardant le silence sur sa séropositivité en public : mise en place d’un mode de vie sain qui l’amènera à produire ses propres légumes et s’installer, isolée, dans une maison avec la possibilité d’un potager en permaculture et maintien d’un lien social via un groupe de parole pour séropositifs.
Nous suivons sa résignation alors que le monde, autour, semble oublier peu à peu l’épidémie autant que ses victimes, et c’est l’arrivée d’un vaccin global contre le VIH en 2020 (sic) qui va déclencher une nouvelle phase du récit où se rejoindront préoccupations sociales (isolement, sexualité, amitié) et environnementales (sélection naturelle en permaculture et accident nucléaire), et où l’on croisera aussi bien le moine Gregor Mendel que des aliens.
La qualité de cette novella réside dans son humanité, dans la capacité qu’a eu Judith Moffett à écouter les personnes qui, en 1989, vivaient déjà avec ce virus, et la retranscription de tout ce matériau dans un personnage d’une grande force : résigné puis déterminé, isolé sans être ermite, en questionnement face au monde qui l’entoure et qui semble évoluer sans lui… et si la partie « aliens » est presque surprenante (et pourrait paraître accessoire), elle permet un regard supplémentaire sur les événements du roman et une résolution étonnante.
À noter que Tiny Tango a depuis été intégré par l’autrice dans son roman The Ragged World (1991), qui développe l’histoire de ces aliens bien particuliers. Agrémenté d’une postface relative à cette première édition en français, Tiny Tango est un texte qui se lit toujours très bien, plus de trente ans après sa parution initiale, et qui éveille la curiosité envers son autrice. En somme, une bonne pioche pour cette collection qui continue de réserver de belles surprises !