QUIDAM
(Meudon, France) Date de parution : 5 janvier 2023 Dépôt légal : janvier 2023, Achevé d'imprimer : octobre 2022 Première édition Novella, 120 pages, catégorie / prix : 14 € ISBN : 978-2-37491-292-9 Format : 14,0 x 21,0 cm✅ Genre : Science-Fiction
Quatrième de couverture
L’antre, un lieu sous terre où il se réveille. Dehors, l’air est irrespirable. Pourtant, il va devoir sortir. Sa survie semble être à ce prix. Mais qui est-il ? Est-il aussi seul qu’il le pense ? Et d’où lui viennent les souvenirs qui le hantent ? Le terminal qu’il interroge possède peut-être quelques-unes des réponses aux questions qu’il se pose. Mais le terminal a aussi une question à lui poser : qu’entend-il par ce mot de personne ?
Avec L’Antre, Brian Evenson plonge son lecteur dans une fable post-apocalyptique où, au-delà de la survie de l’humain, c’est la définition même de l’humanité qui est en jeu.
« Une époustouflante quête d’identité, emplie de mystère et narrée avec tout le savoir-faire d’un maître. Personne n’explore les paysages intérieurs comme le fait Brian Evenson. »
Jeff VanderMeer.
« Qu’est-ce qu’un humain ? Qu’est-ce qu’une personne ? L’Antre explore ces questions de manière extrêmement originale. C’est le genre de texte à même de vous faire réexaminer vos plus vieilles certitudes. Profond et dérangeant, dans le meilleur sens. »
Charles Yu
Critiques
Publiés par deux éditeurs différents, Immobilitéet L’Antreforment pourtant un diptyque. Il est l’œuvre de Brian Evenson, adepte d’une weird fiction génériquement bigarrée, mais à la forte homogénéité stylistique et spéculative. L’auteur a créé une écriture à la froideur clinique parsemée d’éclats d’une violence parfois extrême. Sobre et irradiant pourtant d’une cruelle tension, cette prose se fait l’implacable médium d’une réflexion sur une (in)humaine condition oscillant entre absurde beckettien et noirceur sadienne.
Ainsi en va-t-il d’Immobilité et de L’Antre, inscrits dans un même univers, futur et post-apocalyptique. Des événements constitutifs du « Kollaps », c’est-à-dire le désastre au fondement des deux livres, on ne connaît d’emblée que des bribes selon la description lapidaire qu’en fait Immobilité. Le point de vue du premier volet de ce diptyque post-apo épouse celui, lacunaire, de son protagoniste Josef Horkaï. Arraché en ouverture du romanà un coma cryogénique l’ayant privé du souvenir du Kollaps, Horkaï s’en avère aussi ignorant que lecteurs et lectrices. Et pour découvrir ce monde frappé d’anéantissement généralisé, il leur faudra donc suivre les pas d’Horkaï…
… ou plutôt ceux des « mules » chargées de transporter à travers la désolation un héros privé non seulement de la mémoire, mais encore de l’usage de ses jambes. Les mules sont des humanoïdes, artificiellement engendrés par ce qui demeure d’authentiques humains. On use de ces esclaves génétiquement modifiés lorsqu’une mission doit être accomplie à l’extérieur de « la ruche », soit le complexe souterrain protégeant de l’atmosphère fatalement viciée par le Kollaps. C’est là qu’Horkaï émerge de sa narcose. Il s’entend alors ordonner par Rasmus, le leader de la ruche, de partir en quête d’un mystérieux cylindre conservé par une autre communauté de survivants. Rasmus explique encore à Horkaï que bien que paralytique, il présente entre autres extraordinaires capacités aux échos transhumanistes celle d’être immunisé face à l’indéterminé poison ambiant. Confié à deux mules nommées Qanik et Qatik, porté tantôt par l’une, tantôt par l’autre, Horkaï s’engage dès lors dans l’amas de ruines qu’est devenu le monde…
Le périple ainsi entrepris donnera tout son sens au titre du roman. N’évoquant pas uniquement l’hémiplégie d’Horkaï, le terme d’ Immobilitérenvoie encore à la sclérose d’un univers tétanisé par le Kollaps, et surtout à celle de la psyché humaine à l’origine de la catastrophe. Explicitement inspiré par la pessimiste pensée de Thomas Ligotti exprimée dans TheConspiracy Against the Human Race(inédit en français), Immobilité met en scène une humanité à jamais enferrée dans ses erreurs ontologiques. Et de même que Thomas Ligotti voit dans l’extinction par la nulliparité de notre espèce la seule réponse quant à son aberrante existence, Immobilitédépeint une humanité au bord du précipice comme l’heureuse conséquence de l’armageddon qu’elle a elle-même déchaîné.
Cette peinture de notre annihilation comme un sort aussi inévitable que souhaitable est encore au cœur de L’Antre, l’opus du diptyque le plus complexe car le moins narratif. Prenant la suite chronologique et théorique d’Immobilité, L’Antrecondamne tout espoir de conjurer son extinction pour l’humanité. De celle-ci, il ne demeure bientôt plus personne pour assister à la progressive agonie d’un nommé X. C’est-à-dire un humanoïde transhumaniste conçu pour abriter dans son seul corps les esprits de dizaines de personnes. In fine inéluctable, l’effondrement de cet Antre psychique dessine l’horizon d’un anéantissement en réalité salvateur…
Et c’est ainsi une relecture aussi inattendue que troublante du genre post-apocalyptique que propose le toujours iconoclaste Brian Evenson, en faisant de l’impuissance de l’espèce humaine à échapper à la disparition un paradoxal motif d’espoir !
Cela fait maintenant presque dix ans que Brian Evenson n’avait pas été publié en France mais en ce mois de janvier deux romans arrivent en même temps : Immobilité aux éditions Rivages et l’Antre chez Quidam. Cet ancien mormon, spécialiste du fantastique horrifique, fut surtout remarqué en France pour la Confrérie des mutilés (le Cherche-Midi, 2008), un récit particulièrement sanglant où le narrateur infiltre une secte dont les membres progressent en se mutilant. Son premier texte, la Langue d’Altman, fut à l’origine, par sa violence, d’une polémique provoquant son départ de l’université mormone Brigham Young. Il quitta l’église des saints des derniers jours quelques années plus tard ; ses deux romans Inversion et Père des mensonges sont d’ailleurs assez critiques envers l’église.
L’antre est un texte différent : ici on est dans un décor de science-fiction, pas d’horreur, de gore ou de fantastique, mais toujours avec cette touche d’étrangeté propre à Brian Evenson. Dans ce qui semble être un abri souterrain ayant survécu à l’apocalypse, une personne seule essaye de comprendre qui elle est et quelle est sa mission. Car cette personne ne se souvient pas de grand-chose, et le terminal d’ordinateur de l’antre est endommagée. Tout ce dont elle se souvient, c’est que son nom commence peut-être par X, que son prédécesseur s’appelait Wollem, et avant Vigus et Vagus, et encore avant Uttr et Unnr. Mais peut-être est-elle Vagus, ou Wollem… Car ces personnalités semblent occuper diverses parties de son corps. Quant à sa mission, c’est peut-être de sortir de l’antre pour trouver des pièces afin de fabriquer son successeur…
C’est à partir de ce narrateur à la personnalité et au physique flous qu’Evenson pose la question principale de ce court texte : qu’est-ce qu’une personne ? Cet individu à la mémoire défaillante ne sait pas se définir lui-même, ne sachant s’il est humain ou même ce qu’est un humain. C’est avec cette interrogation et à travers ses rencontres et la réminiscence de ses souvenirs qu’il va progresser dans sa réflexion, ouvrant des pistes au lecteur. Car il ne s’agit que de pistes, l’auteur se gardant bien d’apporter des réponses définitives. Récit brillant d’une recherche d’identité, l’Antre est un récit fort à l’écriture subtile, doté d’une puissance d’évocation rare tout en gardant le flou aussi bien sur les personnages que sur les décors. Evenson fait surgir des images fortes dans l’esprit du lecteur avec un texte remarquable de bout en bout où aucun mot n’est en trop.