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Inventons le futur

Dennis GABOR

Titre original : Inventing the Future, 1963   ISFDB
Traduction de Jacques METADIER

PLON (Paris, France)
Date de parution : 1964

Première édition
Essai, 238 pages, catégorie / prix : 15 F
ISBN : néant
Genre : Imaginaire


Pas de texte sur la quatrième de couverture.
Critiques

    Ce livre constitue une sorte de pendant et de complément au remarquable Profil du futur d'Arthur Clarke. Contrairement à ce dernier, Dennis Gabor s'efforce d'« Inventer le futur » en sociologue, en philosophe et en psychologue plutôt qu'en savant. Il cherche à dégager des tendances collectives au lieu d'évaluer les conséquences des acquisitions individuelles que sont les inventions et les progrès technologiques. Mais il y a ici aussi, comme chez Clarke, un héritage humaniste en ces pages.

    On peut encore noter deux points pour compléter cette comparaison. La première est que Gabor a été beaucoup mieux servi que Clarke pour la version française de son texte : son livre, ne paraissant pas sous l'égide de Planète, est exempt des remarques et des « éclaircissements » qui alourdissaient malencontreusement Profil du futur. La seconde remarque, beaucoup plus importante, est que le livre de Gabor ne fait aucunement double emploi avec celui de Clarke, et qu'il peut être lu et apprécié par ceux qui ont aimé et approfondi l'ouvrage de celui-ci.

    Pour parler d'un point faible d'abord, force est de relever que Dennis Gabor n'a qu'une connaissance très superficielle de la science-fiction. Ce n'est pas nécessairement un mal lorsqu'on possède – comme dans son cas – les dons de la synthèse et de l'extrapolation en se proposent de parler du futur ; mais cela en est un lorsqu'on se risque à émettre à son sujet des jugements tranchants.

    Apparemment, Dennis Gabor connaît surtout la science-fiction pour avoir lu le livre de Kingsley Amis (n'y aurait-il personne, dans les pays anglo-saxons, pour rédiger une présentation sérieuse, intelligente et complète de la science-fiction ? Tant que le piteux Amis sera le seul à en avoir écrit une « étude » pour le grand public, il fera nécessairement figure d'autorité, n'ayant aucun concurrent et le lecteur manquant hélas de point de comparaison s'il n'a pas approfondi lui-même le sujet). L'amateur de science-fiction risque donc d'être indisposé à l'égard de Gabor lorsque celui-ci parle des « tragiques visions » D'Olaf Stapledon (p. 16) et lorsqu'il s'étend sur le pessimisme des romans de science-fiction en général, ignorant manifestement La cité et les astres de Clarke, pour ne citer qu'un ouvrage particulièrement remarquable. Et il est assez ironique de voir l'auteur (à la page 30) s'interroger sur ce qu'il eût fallu faire pour empêcher la chute de l'Empire Romain, alors qu'il s'est précisément trouvé un auteur de science-fiction pour creuser le problème avant lui – L. Sprague de Camp dans Lest darkness fall 

    Mais il s'agit là de la principale faiblesse du livre. Le reste en est du plus grand intérêt. Même lorsqu'on n'est pas d'accord avec l'auteur, on est entraîné par ses raisonnements, on a envie d'en approfondir les étapes et de réfléchir aux réfutations possibles aussi bien qu'aux conséquences suggérées. C'est là une satisfaction et une stimulation que ses confrères ne procurent pas toujours.

    Pour résumer l'exposé de Dennis Gabor dans ses grandes lignes, on peut dire qu'il préconise l'intervention des « Inventeurs de futur » pour éviter les trois grands dangers qui menacent l'humanité. Le premier est la destruction totale par une guerre nucléaire. Le deuxième est le surpeuplement et ses deux conséquences indirectes : famine et épuisement des matières premières. Le troisième, beaucoup plus subtil et plus redoutable parce que moins évident, est la mort par l'ennui que pourra apporter une civilisation des loisirs à laquelle nous ne sommes pas encore suffisamment préparés 6ur le plan psychologique.

    Pourquoi inventer l'avenir ? Parce que, selon Dennis Gabor, « c'est le pouvoir d'invention de l'homme qui a fait de la société humaine ce qu'elle est » (p. 204). Il s'agit donc d'abord de concevoir, sous forme d'édifice mental, un état de choses souhaitable, et ensuite d'imaginer les stades intermédiaires entre la situation effective et cet état de choses. Ainsi qu'on le voit, cette conception ne présuppose aucune transformation radicale des sciences humaines telles qu'elles sont actuellement connues ; et c'est là, à tout prendre, le moins favorable des états possibles. La psychohistoire imaginée par Isaac Asimov dans sa trilogie de Fondation serait, si elle existait, un outil extrêmement efficace pour cette forme d'invention : Il est décidément bien dommage que Dennis Gabor n'ait pas mieux approfondi la science-fiction. 

    Mais son étude des trois grands dangers, mentionnés plus haut, montre qu'il possède lui-même une imagination et un sens de l'extrapolation méthodique très supérieurs à la moyenne. Après avoir examiné l'évolution sociale des États-Unis et de l'U.R.S.S. avec une singulière probité (qui lui fait souligner, en particulier, que sa connaissance de la situation réelle du second de ces pays ne saurait être qu'une approximation marquée par son éducation et ses préjugés), Dennis Gabor montre que les différences entre ces deux sociologies sont surtout d'ordre temporel, et beaucoup moins affaires d'idéologie : une évolution se fait, qui tend à amener l'U.R.S.S. à une situation (économique, civique, psychologique) assez comparable à celle par laquelle les États-Unis ont passé il y a plus ou moins longtemps. Quoi qu'on fasse dire au marxisme-léninisme, le bien-être individuel et égoïste joue un rôle important dans les équilibres sociaux.

    En parlant des dangers que fait courir la surpopulation, Dennis Gabor s'expose aux foudres des catholiques bien pensants, mais montre aussi une clairvoyance qui l'honore. La famille nombreuse constituait une nécessité au Moyen Âge, lorsque la mortalité était élevée et lorsque les Barbares se faisaient envahissants ; mais la situation n'est pas la même, en cette seconde moitié du vingtième siècle. Dennis Gabor expose tous les dangers que l'humanité court si elle ne s'en aperçoit pas à temps. Et il insiste de même sur la nécessité qu'il y a à approfondir maintenant les problèmes de notre approvisionnement énergétique.

    La partie la plus intéressante est sans doute celle où l'auteur examine ce que l'homme peut espérer faire de sa matière grise – ou simplement les façons dont il pourra disposer pour mieux l'employer. Avec un humour qui recouvre peut-être une dose de psychologie supérieure à cette que tolérerait notre tranquillité d'esprit, Dennis Gabor propose une explication inattendue de la paperasserie croissanté qui caractérise notre époque : Il y voit une réaction de défense de notre subconscient, conditionné par l'Évangile du Travail. Lorsqu'il y a moins à faire, notre conscience nous pousse à le faire plus lentement et nous suggère la création d'obstacles administratifs ou autres – de façon à nous éviter le sentiment pénible d'inoccupation… Là aussi, affirme l'auteur, il y a des préjugés à détruire, et l'Intangibilité de l'Évangile du Travail est de ceux-ci. Il passe de là à la réforme de l'éducation, à l'avenir des génies et à l'équilibre dans un bonheur nouveau qui pourrait être celui d'une Civilisation pleinement Humaine. 

    Mais décrire un tel livre c'est. Inévitablement, le trahir dans une certaine mesure. Le traducteur, Jacques Métadier, a su quant à lui éviter une telle trahison : grâce à lui, ce captivant ouvrage pourra être lu, relu et médité par le lecteur français. Même si l'on ne partage pas toujours les vues de l'auteur, on est forcé de réfléchir après avoir refermé son ouvrage : c'est une mesure de sa qualité. 

Demètre IOAKIMIDIS
Première parution : 1/3/1965 dans Fiction 136
Mise en ligne le : 23/10/2023

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