Quel dommage de ne pas reconnaître chez nous Brian Stableford à sa juste valeur ! Ce Britannique, critique cultivé et subtil, bâtit depuis plus de vingt ans une oeuvre à part, originale, mélancolique, qui a souvent besoin de larges cadres pour s'épanouir. Des pans entiers de sa production (je pense notamment à sa trilogie
Daedalus, qu'il faudrait traduire !) restent inédits en français, tandis que bien peu de lecteurs ont eu accès a cette trilogie difficile, passionnante et accomplie que fut
Les royaumes de Tartare (au CLA), et qu'il devient ardu de trouver les premiers volumes de la série «
Grainger », superbe pourtant. Pourquoi ne pas rééditer tout cela de façon relativement accélérée dans « Galaxie-Bis », comme on le fait actuellement avec les « Gor » ? Inutile de préciser vers qui va ma préférence...
De fait, la parution de Les souterrains de l'Enfer, ouvrage qui date de l'an passé tout juste, est une excellente initiative à l'actif de Daniel Walther. Pourvu que l'accueil du public vienne confirmer ce choix !
Car Les souterrains de l'Enfer est un remarquable roman. Un de ces livres complexes où l'aventure la plus débridée rejoint l'imagination la plus débordante sous les auspices d'une métaphysique, d'une réflexion, pleinement modernes.
Mike Rousseau est prospecteur indépendant sur la planète Asgard. Asgard a été découverte par les Tétrax, une espèce suprêmement évoluée (en apparence) qui dirige l'univers d'une manière ambiguë. Sur cette planète se sont établies diverses missions, dont une de l'Etablissement de Recherche Coordonnée (qui regroupe plusieurs races aux visées souvent antagonistes), qui ont pour but d'en percer le secret. Asgard, en effet, semble comporter de nombreux niveaux sous la surface, qui recèlent d'innombrables artefacts laissés là peut-être par les anciens habitants, jadis... L'ERC d'un côté, les prospecteurs indépendants de l'autre, et la pègre de la planète, se livrent à une partie de cache-cache et de chasse au trésor dans l'objectif de faire fructifier leurs découvertes. Un des amis de Rousseau, paraissant avoir découvert le secret ultime d'Asgard, est assassiné. Rousseau lui-même se retrouve pris entre plusieurs feux. Il doit s'enfoncer dans les profondeurs des niveaux, à la poursuite d'une étrange créature pour le compte des forces stellaires. Cette créature est-elle l'assassin de l'ami de Rousseau ? Pourquoi l'armée paraît-elle si pressée de la récupérer ? Est-ce vraiment une arme susceptible de changer le cours de la guerre interstellaire que la Terre est en train de gagner ? Quel jeu joue l'ERC ? Et les Tétrax ? Quel est ce fameux secret d'Asgard ?
En fait, cette tentative de résumé rend bien peu compte de la richesse de ce livre. L'intrigue est menée tambour battant, et donne bien une idée-mosaïque d'un univers saisi dans toute sa complexité et toutes ses contradictions. Cela n'a pas empêché Stableford de se ménager des pauses discursives d'une intelligence rare sur des sujets tels que la sociologie des peuples, la politique, la religion, le colonialisme « mou »... Tandis que la fin. d'une belle ambiguïté, remet en cause tout le livre par son jeu sur la mémoire et la perception.
Le cocktail est parfait. Ce roman haletant et ambitieux fait partie de ces œuvres qui ouvrent sans doute à la SF une voie nouvelle vers un renouvellement nécessaire. Comme tel, il est à ranger aux côtés des romans récents d'auteurs comme
Benford,
Bishop,
Coney,
Watson,
Priest,
Attanasio,
Jouanne,
Jeury ou (autre oublié britannique regrettable),
B.J. Bayley, qui réussissent, chacun à leur manière, la rare alliance de l'imagination et de l'intelligence.
Pierre-Paul DURASTANTI (lui écrire)
Première parution : 1/1/1984 dans Fiction 347
Mise en ligne le : 1/12/2005